Julot, le justicier

18 février, 2023

C’est l’histoire de Julot, le justicier qui n’avait aucune injustice à redresser.

Il alla voir le préfet en le priant de mettre en prison un innocent. Malheureusement, il ne trouva aucun innocent disposé à s’enfermer au cachot.

Ensuite, Julot rencontra l’inspecteur des impôts pour qu’il prélève des taxes de manière tout à fait inéquitable sur les citoyens, mais le fonctionnaire répondit qu’il na savait pas faire ainsi.

En désespoir de cause, Julot obtint une audience avec l’archevêque au cours de laquelle il supplia le prélat d’excommunier un fidèle au comportement irréprochable. L’archevêque cria au scandale et mit Julot à la porte.

Julot se trouva dans la gêne : c’était un justicier sans emploi. Pourtant Julot avait un frère, Fredo, qui était particulièrement injuste. Julot demanda donc à Fredo de commettre une injustice puisqu’il savait faire.

Fredo vola 100 euros au châtelain. Julot, enfin sollicité, s’insurgea.

— Quelle injustice, monsieur le châtelain, s’écria-t-il !

Julot, indigné de ce vol, cerna la maison de Fredo de façon à prendre le chenapan au piège. Le siège dura plusieurs jour car Fredo ne voulait pas se rendre. Malheureusement, la maison de Fredo était aussi celle de Julot.

Moralité : Julot passait donc ses journées dans la maison qu’il cernait. Au bout du dixième jour de siège, Fredo se rendit. Julot pénétra, applaudit par le peuple, dans la citadelle où il avait déjeuné le matin même.

Le vendeur de phrases

13 février, 2023

C’est l’histoire de l’entreprise qui vendait des phrases toutes faites. Par exemple, quand on allait à un mariage, on pouvait acheter quelques banalités à placer le jour de la cérémonie du genre : mes meilleurs voeux de bonheur ; quelle belle cérémonie religieuse ; c’est vous qui avez choisi le traiteur ; et les enfants, c’est pour quand ; cette fois, on a réussi à caser Gérard… Evidemment pour les funérailles, l’entreprise disposait d’un autre jeu de répliques.

A ceux qui s’interrogeaient sur la légitimité de l’existence de cette société, son directeur, monsieur Petitbon, répondait qu’à l’époque où l’on vendait des salades en sachet toutes prêtes, il n’y avait rien d’étonnant à commercer des éléments de conversations, de la même manière.

Effectivement,  l’entreprise de monsieur Petitbon connut un certain succès, dû au grand nombre de personnes  que les obligations mondaines indisposaient fortement.

Fort de son avantage, monsieur Petitbon ouvrit une nouvelle activité : les conversations de couples. Lorsque la relation conjugale devenait un peu languissante, on pouvait acheter des phrases du type : qu’est-ce qu’on mange ce soir, n’oublie pas de téléphoner à ta mère pour son anniversaire, il faudrait penser à réserver quelque chose pour cet été…

Ce commerce n’était pas du tout du goût de la Ligue des Improvisateurs. Ces derniers dénonçaient les méfaits du néo-libéralisme qui s’insinuaient de partout jusqu’à standardiser le contenu des  conversations les plus courantes. Pour les Improvisateurs, chacun devait prononcer des phrases de son cru, totalement originales.

Monsieur Petitbon défendit son fonds de commerce. Il dit qu’on a toujours le droit d’être terne et peu inspiré dans la conversation, auquel cas il vaut mieux émettre des phrases banales que passer pour un vieux sauvage.

Monsieur Petitbon pour faire taire les critiques ouvrit un département « Météorologique ». Là encore la demande dépassa toutes les espérances. On y vendait de tout : depuis le célèbre « il fait beau aujourd’hui, n’est-ce pas » jusqu’au « oui, mais il fait plus froid que l’an dernier à pareille époque ».

Pour l’achat d’une phrase complètement nulle, monsieur Petitbon ajoutait parfois un petit bonus du genre « qu’est-ce qu’il y a à la télé, ce soir ? »

Les efforts de Monsieur Petitbon furent brillamment récompensés. Monsieur le ministre de l’Abêtissement  Généralisé lui remis la légion d’honneur, le 14 juillet dernier.

L’ascète

24 janvier, 2023

C’est l’histoire de Jean, notre collègue de bureau. Le patron l’aime bien parce qu’il peut tout lui demander. Jean poursuit son chemin quoiqu’il arrive, même lorsqu’il devient ardu ou pentu. Jean est né pour souffrir ; il le sait et accepte ce destin.

A table, il ne prend jamais de dessert ni de choses sucrées. Il mange du pain, même quand il est rassis. Dans son assiette, il calcule ses parts en fonction de ses capacités biologiques et ne mange jamais plus que nécessaire.

Pour arriver au bureau, il monte les cinq étages à pied et s’interdit l’ascenseur. Il vient même quand il est malade. Son bureau est toujours nickel ; aucun dossier, aucune note ne traînent ; tout est classé. Lorsque quelqu’un organise un pot convivial, il ne boit jamais d’alcool.

Le vendredi, il emporte des tonnes de dossiers pour travailler pendant le week-end. En voiture, il respecte toutes les limitations de vitesse.

Jean est habillé de gris, sans aucune fantaisie vestimentaire. Il ne rigole jamais.

Un jour, je lui ai dit qu’il lui manquait la dimension du plaisir. Depuis, il prend l’ascenseur pour me faire plaisir.

Le faussaire

20 janvier, 2023

C’est l’histoire de Fousticot, le faussaire. Fousticot fabriquait de la fausse monnaie, ce qui n’inquiétait pas trop les autorités puisque ses billets étaient faux, tellement faux que les seuls clients de Fousticot étaient les fabricants de jeux de société.

Mais il arriva que, par une erreur de son imprimeur, Fousticot produise une fausse monnaie tellement vraie qu’on ne savait plus que c’était de la fausse monnaie.

Aussitôt, les citoyens se précipitèrent dans la boutique de Fousticot pour acheter de la vraie fausse monnaie. Par exemple, Fousticot vendait 10 un billet de 100.

Il devint vite très riche puisque ses clients payaient en vraie monnaie. Ses acheteurs s’enrichirent également puisqu’ils recevaient de la fausse monnaie qui était tellement vraie qu’on pouvait considérer que c’était de la vraie.

Dans le village, on vit apparaitre de somptueuses voitures, des maisons neuves qui ressemblaient à des châteaux, des fermières parcourir les rues en habit de princesse.

Tout le monde était heureux, sauf le commissaire Dulampion qui soupçonnait une anomalie dans cette nouvelle vie. C’est ainsi qu’il fit une entrée remarquée dans l’atelier de Fousticot :

— Fousticot, vous fabriquez de la fausse monnaie, je vous arrête, hurla le policier.

— Elle n’est pas fausse, répondit Fousticot, puisqu’en tous points elle ressemble à de la vraie. C’est donc de la vraie monnaie.

Le commissaire resta interdit en entendant cette réplique. Fousticot insista :

— Rendez-vous compte, commissaire, avec mon argent, tout le monde est heureux !

Le policier ne l’entendit pas ainsi :

— Mais, mon jeune ami, sachez que les gens n’ont pas à  être heureux. Ils doivent bosser, s’inquiéter de pouvoir nourrir leur famille, envier leurs voisins qui ont une plus belle voiture qu’eux, rêver à des projets inaccessibles, se vautrer dans la frustration permanente… Où avez-vous pris que chacun doive obligatoirement être heureux dans ce pays ?

Tristesse…

8 janvier, 2023

C’est l’histoire d’un orphelin. Il avait connu à peine sa mère, et pas du tout son père. C’était le début d’une histoire triste, particulièrement triste. Il s’appelait Sam. Sam racontait son histoire à ses camarades sur les bancs de la classe. Il les faisait pleurer parce qu’elle était triste, particulièrement triste.

On l’aura compris Sam était un homme triste, particulièrement triste.

A l’âge de prendre femme, il jeta son dévolu sur la belle Maria. Mais il lui faisait sa cour de manière si triste que Maria ne cessait de pleurer. Elle devenait triste, particulièrement triste.

En même temps, le beau Raoul comptait aussi fleurette à Maria. Raoul était un garçon joyeux, particulièrement joyeux. Maria gronda :

— Raoul ! Comment peux-tu être aussi joyeux alors que Sam est si triste ?

Raoul eut honte de sa décontraction et devint à son tour, particulièrement triste.

Sam et Maria eurent deux enfants qui furent atteints de tempéraments moroses, particulièrement moroses. Ils donnèrent naissance eux-mêmes à des enfants qui connaissaient des moments de crise, pendant lesquels ils étaient maussades, particulièrement maussades.

Ainsi, de générations en générations, la tristesse de Sam s’atténua, jusqu’en l’an 2000 où Marius vit le jour. A la stupéfaction du personnel de la maternité, Marius arriva sur Terre en rigolant. Cette attitude fut la sienne jusqu’à la mort, ce qui pourrait donner lieu à un nouvelle histoire si l’auteur n’avait pas ses courses à faire.

La naissance des feuilles mortes

29 décembre, 2022

C’est l’histoire de la déesse Henriette, chargée des feuilles mortes. Notons qu’elle ne doit pas être confondues avec d’autres divinités, chargées des défunts dans diverses civilisation.

Henriette devait intervenir en automne exclusivement. Son rôle était de pleurer la mort des feuilles d’arbre, puisque personne ne se préoccupait de cette triste besogne. Le reste du temps Henriette ne faisait rien, ce qui ne plaisait pas beaucoup aux autres divinités qui ployaient sous le travail.

Cette oisiveté énerva Jupiter qui décida de l’affecter à une autre tâche. Il la rendit responsable des bourgeons qui poussaient sur les arbres. Après tout, pensa-t-il, il y a une certaine logique à donner à Henriette la supervisions des feuilles des arbres de leur naissance à leur mort.

Malheureusement, les consœurs d’Henriette eurent tôt fait de considérer qu’elle n’était pas très occupée pour autant. Surtout que chacun savait qu’il existait des arbres à feuilles vivaces qui refusaient systématiquement de périr à l’automne.

Henriette était très occupée par son oisiveté. Une année, elle prit ses vacances d’été, mais elle se sentait tellement bien qu’elle oublia de rentrer afin d’accomplir son office lorsque l’automne arriva. En toute hâte, on dut lui trouver un remplaçant. C’est Maurice-Alexandre le dieu des angles morts qui fut requis. Mais Maurice-Alexandre emplissait mal cet office, il ne savait pas pleurer les feuilles mortes.

C’est à cette époque que Jupiter n’eut plus qu’une solution : mobiliser sa légion de poètes de choc pour honorer toutes les feuilles décédées : messieurs Prévert, Gainsbourg, Théophile Gautier, Emile Verhaeren, Paul Verlaine et probablement quelques autres

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,
Et le vent du nord les emporte,
Dans la nuit froide de l’oubli.

Jean-Pierre et sa télé

21 décembre, 2022

C’est l’histoire de Jean-Pierre, un type qui est resté pendant cinquante ans, planté devant sa télévision. Par une espèce de mauvais miracle de la nature, il s’est enraciné sur son fauteuil, lequel est devenu consubstantiellement attaché au sol. Ainsi donc, on ne pouvait pas bouger le téléspectateur ni son siège.

Le problème, c’est que l’esprit de Jean-Pierre était resté indissolublement lié aux programmes télévisuels des années soixante, si bien que chaque matin Jean-Pierre réclamait le retour de Léon Zitrone et de Pierre Sabbagh. Lui ne voulait regarder qu’une seule chaine, parce que les autres n’avaient pas encore été inventées. Il fallut bricoler son poste pour retrouver des images en noir et blanc.

On était obligé de coller des images du Général De Gaulle sur son poste pour le calmer, moyennant quoi il se déclarait enchanté par son dernier discours. Une association fut fondée pour jouer et retransmettre sur le poste de Jean-Pierre les évènements des années soixante. C’est ainsi qu’il revécut les luttes ente Anquetil et Poulidor, la construction du pont de Tancarville, la première greffe cardiaque, la caméra explore le temps, etc…

Un jour, par malice, un gamin facétieux lui mit sous les yeux une télé moderne. Jean-Pierre sursauta méchamment, ce qui eut pour effet de le décoller de son siège. Il rejoignit son arrière-petit-fils qui passait son temps devant un téléviseur du dernier cri, si bien que cinquante ans plus tard, on retrouva Jean-Pierre (qui commençait à être très âgé) et son descendant statufiés devant un téléviseur des années 2030, le genre de modèle complètement dépassé par la technologie grâce à laquelle on pouvait voir désormais la télé sans le support d’un téléviseur.

Le dossier des noms bizarres

17 décembre, 2022

C’est l’histoire de monsieur Citron qui était — comme son nom l’indique — tout le temps pressé. Il était le voisin de madame Poule. Le toit de la maison de madame Poule fut un jour dévasté par la tempête de sorte que madame Poule était toujours mouillée. Monsieur Lechat habitait dans la vallée encaissée où les promeneurs s’aventuraient parfois : ils pouvaient dire, d’une manière plaisante, qu’il y avait un chat dans la gorge.

Au sommet du village, monsieur Signe chantait toute la journée d’une belle voix de ténor. C’était le chant du Signe, disait-on en souriant. Ce n’était pas du goût de monsieur Carpe qui, lui, était plutôt muet. Monsieur Berger n’aimait pas non plus. Dans le village, il était le berger et allemand.

Monsieur Têtard qui était toujours en retard vivait dans le quartier laid avec monsieur Lelait où l’on trouvait Jo, l’affreux freux. Là habitait aussi le Vampire du village, le pire de tous, ainsi que madame Morue et madame Grue qui vivaient dans la rue. C’étaient des harpies qui jouaient de la harpe, mais aussi des vieilles qui jouaient de la vielle.

Un jour, la maire du village, madame Tume s’énerva. La maire Tume dit : en voilà assez de tous ces noms bizarres ! J’appelle les forces de l’ordre. Comme les gendarmes ne voulaient pas s’en mêler, elle fit obligée de faire venir des pandores d’Andorre, lesquels répondirent qu’ils ne connaissaient rien en noms bizarres. Ils dirent à la maire Tume : faites donc venir des Serbes acerbes.

Ces derniers décidèrent que les Chinois étaient les meilleures pour traiter des chinoiseries : Aux Chinois, les chinoiseries, s’écrièrent-ils ! Les Chinois ne l’entendirent pas ainsi. Ils refilèrent le dossier à la belle hellène Hélène qui comme son nom l’indique vivait en Grèce.

(À suivre …. Enfin, peut-être)

L’apprenti-hooligan

14 décembre, 2022

C’est l’histoire de l’apprenti hooligan John. Il allait souvent au stade pour applaudir son équipe favorite, mais il ne cassait rien : il ne savait pas faire. Au lieu de s’enivrer d’une mauvaise bière, il se contentait de boire un jus d’orange avec une paille. Au final, il ne pouvait jamais être complètement saoul. Les anciens l’admonestèrent : ils dirent qu’il était un mauvais hooligan. S’il continuait, il serait puni et envoyé dans les loges du stade, là où sont le bourgeois de la ville.

Rien n’y fit, John continuait à être respectueux de son environnement. Il refusait de se jeter dans les violentes bagarres avec les supporters du camp adverse. A son patron-hooligan, il affirma qu’il risquait de se faire et même de faire mal aux autres.

A l’extérieur du stade, il avait aussi un comportement irréprochable. Il ne chantait pas de chants paillards, il n’utilisait pas de corne de brume ni rien de trop sonore, pour ne pas indisposer les riverains.

Les policiers l’arrêtèrent néanmoins.  Au cours de son interrogatoire le célèbre commissaire Harald Lampion, lui reprocha durement son attitude : si tous les hooligans avaient son comportement, les policiers seraient au chômage. John fut puni : il reçut une amende et l’ordre de faire un stage d’hooliganisme, ce qui lui déplut fortement. Il fut également banni du stade.

Mary, la maman de John n’admit pas cette sentence. Pour rattraper les bêtises de son gamin, elle devint la reine des hooligans, la plus violente d’entre eux.

Les gorilles de la baronne

10 décembre, 2022

C’est l’histoire de la baronne Elvire de la Quenelle. Elle vivait dans son château avec le gorille Mistigri. Ne nous méprenons pas, il s’agissait d’un vrai gorille domestiqué. Avec la baronne, Mistigri était d’une grande docilité. A 16 heures, tous les jours, ils prenaient le thé ensembles, dans la plus grande cordialité. Par contre, Mistigri n’était pas très affable avec les étrangers.

Un jour, monsieur Delalouse, responsable du Pôle Emploi local, voulut expliquer à la baronne de la Quenelle que Mistigri occupait indument un poste de domestique, alors qu’il avait d’excellent humains capables d’occuper cet emploi.

La baronne Elvire de la Quenelle se gaussa. Elle était particulièrement satisfaite des services de Mistigri. Selon elle, le premier qui envisagerait de chasser Mistigri de son job pourrait signer tout de suite son acte de décès, ce qui épargnerait de lourdes formalités à ses héritiers.

Pour la baronne, la seule façon de faire diminuer le chômage dans la région, ce serait d’engager un autre gorille qui deviendrait majordome, adjoint à Mistigri, lequel adore donner des ordres. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, monsieur Delalouse trouva un gorille, demandeur d’emploi dans ses fichiers. Le nouveau était en fait une nouvelle nommée Gorillette. Ainsi, la baronne se trouva garder par deux gorilles, ce qui — convenons-en — ne facilitait pas ses relations avec la population locale.

Ce qui devait arriver arriva, Gorille et Gorillette se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.

A la fin, la baronne décéda. Les autorités se demandèrent ce qu’elles allaient faire de tous ces gorilles. Peu de patrons se présentèrent pour les prendre à leurs services.

Désormais, on comprend mieux pourquoi, il y a d’une part beaucoup d’emplois vacants de majordomes dans les châteaux du pays et d’autre part une foule de gorilles très qualifiés, mais au chômage.

 

 

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