Archive pour la catégorie 'Nouvelles'

Encore un dragueur !

5 octobre, 2021

« Madame, l’éclat de votre beauté illumine tout le royaume. »

« Vous êtes bien aimable, baron. Le mérite en revient à ces messieurs : les coiffeurs, les parfumeurs, les maquilleurs… Je ne suis que l’humble support de leur art. »

« Votre modestie, madame, ne fait qu’ajouter à la splendeur de vos apparitions. »

« Ne seriez-vous pas en train d’essayer de me séduire, baron ? »

« Pas du tout, duchesse. J’examine la silhouette que vous présentez au monde et je me prosterne devant l’esthétisme unique de vos allures. »

« Vos louanges sont, néanmoins, tournées de façon galantes à des fins que la morale et monsieur le duc réprouveraient certainement. »

« Duchesse, je m’indigne vertueusement ! »

« Bon ! Vous décrivez avec des mots flatteurs mon apparence, mais que savez-vous de mes traits de caractère cachés ? »

« Rien Duchesse, je le reconnais. Vous êtes peut-être une fieffée polissonne, cruelle et volage ! En un mot, un être cruel et difficile à supporter. »

« Je suis peut-être pire que cruelle, baron ! »

« L’éventualité ne m’a pas échappé, Duchesse, mais l’étude des plus belles femmes du royaume dont les traits n’atteignaient pas la magnificence des vôtres, m’a convaincu que les vilénies des unes et la bonté des autres inscrivent leurs empreintes sur leurs visages. »

« Ainsi donc, baron, vous étudiez le visage des plus belles femmes du royaume. Toujours dans un but scientifique, je suppose. »

« Bien entendu, Duchesse, n’avez-vous pas lu mon dernier livre « De l’oreille des belles » ?  J’y développe des théories fort intéressantes sur le conduit auditif de mes sujets. »

« Quelle horreur, baron, voulez-vous bien ne pas me regarder dans les oreilles ! »

« Il n’y a même pas besoin de les observer pour savoir que vous dominez la Cour par la finesse de votre pavillon. »

« Baron ! Vous recommencez, vilain coquin ! Voulez-vous arrêter tout de suite ! »

« Je ne peux donc pas informer la postérité de l’immense plaisir que les gentilhommes ont à vous complimenter. Négocions, Duchesse. Pourrais-je au moins parler de votre nez ?

« Mon nez … bon, à la rigueur ! Délirez ! »

« Votre nez est pareil à deux papillons qui volètent au printemps d’une fleur à l’autre. »

« En fait, comme il me vient facilement le flux à la narine provoqué par l’éclatement de la nature au printemps, je ne volète pas tellement, baron. »

« Alors, j’ai une autre idée. Parlons de votre allure. Votre démarche est si légère qu’on dirait que vous volez comme une fée au-dessus du pauvre plancher sur lequel nous claudiquons si péniblement. »

« Et on pourrait peut-être parler de mon intelligence qui me souffle que vous vous jouez de moi grâce à un discours charmant, mais trompeur. »

« Ah bon ? »

Un conflit

3 octobre, 2021

« Vous m’attaquez ! Ne vous inquiétez pas, j’ai de quoi me défendre ! Un véritable arsenal ! Des tanks, des fusils, des lance-pierres, etc… »

« Pourquoi vous vous énervez ? Personne ne vous en veut ! »

« Peut-être, mais je prends les devants, j’avertis, je fais des dossiers. Bref, on ne m’atteindra pas comme ça. Il y aura du sang collé au mur ! »

« Euh… votre réaction un peu excessive ne signifie-t-elle pas que vous n’êtes pas si tranquille que vous voudriez le laisser paraitre ? »

« Et voilà, ça commence ! J’ai bien fait de me méfier de vous. Puisqu’il en est ainsi, je sors ma défense anti-aérienne ! Combien avez-vous touché pour m’attaquer ? »

« Moi, rien du tout ! Je me promène tranquillement et c’est vous qui venez de sortir une colonne de chars d’assaut pour m’agresser. »

« Je vois une attitude louche dans votre manière de vous promener en ayant l’air décontracté. N’êtes vous pas en train de penser à une manœuvre d’encerclement ? »

« Je ne sais pas encercler un homme tout seul ! »

« Bon ! Puisque c’est ça, je sors une division blindée. Vous avez sûrement des problèmes avec le fisc. Tout le monde en a. J’appelle donc la presse pour vous dénoncer publiquement. »

« Je paie mes impôts honnêtement, moi, monsieur. »

« Quoi ? Vous insinuez que ce ne serait pas mon cas ! Vous êtes un butor. Je vais chercher mon canon de 75, modèle 1897 : je vais annoncer à votre femme que je vous ai vu au restaurant avec Thérèse ! Ha ! Ha ! Voilà qui fait mal, hein ? »

« Bon ! J’ai assez joué sur la défensive. Je lance mes troupes à l’assaut de vos remparts : vous n’êtes qu’un pauvre paranoïaque qui se sent agressé pour n’importe quoi. »

« Bien ! Dans ces conditions, ma compagnie d’archers entre en jeu : votre hypocrisie, votre ton doucereux ne trompent personne à propos de vos mauvaises intentions. »

« Vous l’avez voulu ! Mes cavaliers intrépides entrent en action : vous n’êtes qu’un hystérique, un asocial, un toxique à éviter à tout prix. Tiens ! Je vais mettre mon masque pour vous parler ! »

« D’accord, dans ces conditions : guerre psychologique ! Je vais vous huer fortement à la prochaine assemblée générale du personnel. »

« OK ! Guerre de tranchées ! Moi, mine de rien, je ressortirai le dossier Michot, celui dans lequel on vous soupçonne de prise illégale d’intérêt. »

« Le dossier Michot ! Je me gausse ! Mes troupes disposent du dossier Poulard à propos de la construction de la piscine communale, ça vous dit ? »

« Je sens que je vais en venir aux mots désobligeants : vous n’êtes qu’un paltoquet, monsieur. Je dirais même un j’en foutre. »

« Puisqu’il en est ainsi, je vais vous jeter des gros mots à la figure. C’est tant pis pour vous ! Bélitre, foutriquet, fesse-mathieu ! »

« Vous l’aurez voulu : je vais le dire à ma mère ! »

La disparition de Georges

1 octobre, 2021

« Georges a disparu. »

« Il est mort ? »

« Non… enfin je ne crois pas. Il a disparu.  Depuis deux mois, personne ne l’a vu.»

« Ç’est une chose qui arrive. Quelqu’un disparait d’un seul coup, dans la nature, sans laisser d’adresses. C’est triste, bizarre, mais c’est leur droit. »

« Qu’est-ce qui lui est passé par la tête ? »

« Personne n’en sait rien. Il a peut-être été lassé par la monotonie de la vie quotidienne ou alors la petitesse des esprits humains qui l’entouraient. Ou alors il fait une crise mystique. »

« Pourtant sa femme Mélanie est charmante. »

« Peut-être, mais on ne sait rien des relations dans leur intimité. Parfois, les gens montrent un aspect délicieux en public, mais sont insupportables en privé ou vice-versa d’ailleurs. La nature humaine n’est pas toujours très cohérente ! »

« Georges a coupé tous les liens. Sa carte bancaire, son téléphone restent muets ! »

« C’est normal, il ne va pas se donner la peine de disparaitre de la circulation, tout en laissant des traces qui disent : coucou, je suis là ! »

« Pourtant, il avait un bon job, du fric… »

« Justement, il avait sans doute envie de recommencer sa vie ailleurs. Quant à ce qu’on appelle un bon job, laisse-moi rire. Ça consiste généralement à se faire engueuler par un patron qui lui-même se fait sermonner par le siège de New-York ou de Tokyo. »

« Bon ! Qu’est-ce qu’on fait ? Il faut le retrouver. On commence par quoi ? Sa maîtresse ? »

« Laquelle ? Il en avait plusieurs, mais aucune ne s’est manifestée. »

« Parlons-en à Dugenou ! »

« Dugenou n’aimait pas Georges. C’est tout juste s’il ne m’a pas répondu que sa disparition lui faisait plaisir. Il faut dire que la rumeur disait que Georges et madame Dugenou, tu vois ce que je veux dire… Tout le monde le savait.»

« Et son père? »

« Il a dit qu’il s’en foutait. Georges ne se gênait pas pour dire qu’il attendait son héritage. Il ne voyait pas son père. »

« Et son banquier ? »

« Il a fait les comptes. Il s’est étonné que Georges possède autant de fric. Il a tout transféré sur un compte de Singapour, mais à son avis Georges va le faire transiter pour une autre destination. »

« Comment se fait-il qu’il ait eu autant de fric ? Il circulait en deux chevaux et était vêtu comme un mendiant. »

« Il ne faut jamais jugé sur les apparences. Beaucoup d’entre nous se déguisent en pauvres pour échapper au fisc ! »

« On a regardé chez sa mémé ? Il l’aimait bien sa mémé. »

Mon sondage

23 septembre, 2021

« Je fais des sondages. »

« Ah bon ? Comment faites-vous ? »

« Je tire un échantillon de population et je sais tout sur vous ?  Par exemple, vous aimez mieux les tomates que les épinards. »

« C’est passionnant. Est-ce que j’aime mieux ma maitresse Josiane ou ma femme ? »

« Dans l’immédiat, vous préférez Josiane, mais ça vous coûte beaucoup d’ennuis. Vous préfèreriez ne pas être obligé de choisir. »

« Est-ce que je suis assez bien payé par mon patron ? »

« Non, sûrement pas. Vous êtes en colère parce qu’on ne vous considère pas assez. D’ailleurs vous êtes tout prêt de repasser votre gilet jaune. »

« Suis-je satisfait des programmes de télé ? »

« Non, pas du tout. Ils sont trop bêtifiants pour vous. Vous n’êtes pas du genre à absorber les mêmes séries américaines tous les soirs. »

« Pourtant, je les regarde… »

« C’est un effet de vos nombreuses contradictions. D’ailleurs, le choix des émissions de télé arrive au premier rang des motifs de disputes conjugales. »

« Et au deuxième rang ? »

« Nous avons votre réticence incompréhensible à passer vos week-ends chez vous beaux -parents. Ex-aequo avec votre façon décontractée de laisser trainer vos chaussettes sales. Thérèse envisage des sanctions. »

« Je ne suis pas étonné qu’elle soit d’accord avec ce sondage. Au fait, comment savez-vous qu’elle s’appelle Thérèse ?»

« C’est immanquable, vous choisissez vos femmes avec des prénoms qui arrivent en tête des prénoms les plus banals. »

« Evidemment, je suppose que vous savez pour qui je vais voter ? On peut même se demander pourquoi je vais voter. »

« Bien sûr que je le sais. A moins qu’au dernier moment, vous changiez d’avis. Nous savons qu’il y a des délinquants qui modifient leur vote au dernier moment pour le plaisir de déjouer nos sondages. C’est fortement interdit. »

« Pendant que vous y êtes vous pourriez me prendre dans votre échantillon pour votre prochain sondage. »

« Non, c’est un métier ! Il faut un bon profil. Nous n’avons que faire d’originaux comme vous. Il nous faut des gens qui pensent comme tout le monde. »

« Je vous conseille mon voisin Dugenou. Il pense comme le journaliste des actualités de 20 heures lui dit de penser. Il est d’accord sur la baisse du niveau scolaire, sur les violences policières, sur le dérèglement climatique… »

« Ben non… on l’a déjà pris. Il a tout déréglé le sondage. Sa femme a un prénom bizarre. »

Coups de gueule

19 septembre, 2021

« C’est un scandale ! »

« Qu’est-ce qui vous arrive ? Il est où le scandale ? »

« Je ne sais pas, mais ça m’arrangerait si vous aviez un scandale sous la main. Pour se faire remarquer aujourd’hui, il faut dénoncer un scandale ! »

« La pénurie de médecins dans nos campagnes, ça vous irait ? »

« Non, tout le monde le sait. Il faut surprendre. »

« Comment faites-vous pour vous indigner ? »

« Je pousse un coup de gueule. Vous n’avez pas remarqué ? Tout le monde pousse un coup de gueule actuellement. »

« C’est vrai, mais où ça nous mène tout ça ? »

« Aucune idée. L’important, c’est que je puisse pousser mon coup de gueule. Il devrait exister un droit au coup de gueule. »

« Est-ce que vous n’avez pas envie de dire des choses constructives plutôt que vous énervez contre n’importe quoi ? »

« Vous rêvez ! Comment se faire remarquer en disant des choses positives ? Si je n’aime pas le chapeau de la reine d’Angleterre, j’ai le droit de m’énerver dans tous les journaux ! »

« Ce n’est pas ce qui la fera changer de chapeau. Elle est têtue, vous savez ! »

« J’espère bien. Comme ça, faute d’autre chose, je pourrais toujours pousser un coup de gueule contre ses tenues. Je la surveille de près. »

« Il parait que vous voulez vous énerver contre l’équipe de France de foot. »

« Evidemment, ce n’est pourtant pas compliquer de mettre sur le terrain les joueurs que je conseille. Donc, allez hop : coup de gueule contre le sélectionneur, non mais alors ! »

« Vous êtes extrêmement sévère ! »

« Peut-être, mais vous avez remarqué ? Je suis à la pointe de l’actualité. On ne parle que de moi. D’ailleurs, il va falloir que j’arrête de vous parler gratuitement. Quand je donne un interview, c’est 120 000 euros les cinq minutes : allez hop ! »

« N’avez-vous pas envie de pousser un coup de gueule contre les gens qui poussent des coups de gueule à propos de n’importe quoi ?»

« Je vous vois venir ! Vous faites partie de ces minables petits intellos qui estiment qu’il faut des motifs sérieux pour s’indigner publiquement. »

« C’est mieux ! A force de pousser des coups de gueule, plus personne ne vous prend au sérieux. Vous perdez toute crédibilité. D’ailleurs, moi, l’expression coup de gueule me fait bien rire. »

« Vous préférez peut-être que je vous tacle sévèrement ? Avec vos questions idiotes, et votre façon de m’extorquer un interview gratuit, j’ai de quoi faire le malin pendant 15 jours. J’ai une idée ! On organise un débat télévisé entre nous deux et je quitte le plateau, très énervé, en vous traitant de crétin ou de connard. Au choix ! »

Transparence

16 septembre, 2021

« C’est ainsi : quand je suis quelque part, c’est comme si je n’y étais pas. J’ai l’impression d’être transparent. Personne ne fait attention à moi. »

« Il est vrai, mon pauvre, que vous n’avez pas beaucoup de présence physique. Je ne sais même pas si vous êtes présent quand je vous parle. »

« Il y a pire. Quand je dis quelque chose, personne n’en fait cas, personne ne répond. C’est comme si je n’avais rien dis. »

« Vous êtes l’homme invisible. Vous êtes sur que vous avez une ombre ? »

« C’est ça. Des fois, des gens me marchent sur les pieds et ne s’excusent pas. Si je leur casse la figure, ils vont dire qu’ils se sont pris la porte sur le nez. »

« Si personne ne vous remarque, cela peut être un avantage : vous pouvez écouter ce que disent les gens ou regarder ce qui ne vous regarde pas. »

« J’aimerais mieux qu’on tienne compte de ma présence sur Terre. »

« Mon pauvre, nous serons bientôt dix millions, alors s’il faut tenir compte de l’amour-propre de chacun. »

« En plus, quand nous sommes plusieurs personnes à table, je me tape toujours le bout de table. Ou alors à côté d’une personne encore plus transparente. On ne tient pas compte de moi, sauf pour partager l’addition finale. »

« Il faut vous reprendre, mon vieux ! Faites quelque chose d’exceptionnel ! »

« Je me suis pourtant qualifié pour la finale du concours des spaghettis bologneses, mais personne n’a perçu l’importance de l’évènement. »

« Et quand vous n’êtes pas là, qu’est-ce qui se passe ? »

« Rien. Quand le rien n’est pas là, il ne se passe rien. Personne ne me demande où j’étais. Personne ne se souvient de mon absence. »

« C’est curieux, en effet. Le mieux ce serait que vous vous liez avec quelqu’un qui soit encore plus nul que vous. Ce serait le moins que rien. »

« Vous croyez ? S’il est moins que rien, je ne vais pas le remarquer. »

« Dites-vous que vous rassurez les gens qui se prennent pour quelqu’un. Et croyez-moi, ils sont très nombreux dans tous les domaines. »

« Si je vous suis bien, je pourrais rassembler les moins que rien et devenir quelqu’un dans le domaine de la nullité. »

« Ce ne serait pas si mal que ça. »

« Est-ce que je n’aggrave pas mon cas ? Un rien qui parle au nom de plusieurs riens, ça donne quoi. »

« Il est vrai qu’il vous faudrait un sujet. Dite n’importe quoi, de toute façon, comme vous êtes transparent, ça ne dérangera personne.  Vous pourriez même vous habillez n’importe comment, personne ne le verra. »

« Résumons-nous. Je suis un rien qui parle des riens, en disant n’importe quoi, habillé n’importe comment. Il faudra juste que je ne me fasse pas remarquer. »

Le temps des discours

12 septembre, 2021

« Bon, ben… je vais faire un petit speech ! »

« Oui, mais alors pas trop long, je n’ai pas que ça à faire. »

« Qu’est-ce que je pourrais dire ? »

« Débrouillez-vous. Parlez pour ne rien dire. Si vous voulez passer l’examen de politicien supérieur, c’est une épreuve obligatoire. »

« Je pourrais parler de l’unité nationale. »

« Oui, ça c’est bon, ça ne mange pas de pain. Dites aussi que la jeunesse est notre avenir, en ayant l’air convaincu, comme si personne ne s’en doutait. »

« Je peux peut-être placer un mot sur la grandeur de la France. »

« Très bien, ça fait toujours plaisir. Mais inutile de rappeler qu’on n’a pas gagné l’Euro de foot. Vous pourriez plutôt affirmer que vous défendez les plus faibles.»

« Euh, les gens préfèreraient peut-être qu’on leur parle de leurs salaires, non ? »

« Non. Ils veulent forcément être augmentés, ce n’est pas la peine de le leur laisser espérer. »

« J’ai trouvé : je vais dire que je serai très ferme avec ceux qui ne respectent pas la loi. »

« Si vous voulez, ce n’est pas très original, mais enfin… ça peut vous faire gagner deux minutes. »

« Croyez-vous que je puisse dire des choses concrètes ? « 

« Surtout pas ! Vous tenez à ce qu’on vous dise que vous n’êtes qu’un charlatan qui ne tient pas ses promesses ? Non, restons abstraits ! »

« Et le retour de l’autorité. En général, ça marche bien ! »

« Non, pas trop. Vous allez faire peur. Essayez d’être humain : parler de votre famille, de vos enfants, de votre maman. »

« C’est-à-dire que Josiane ne veut pas que je fasse de politique. Mes enfants s’en foutent tant que je ne leur pique pas leurs tablettes. Et ma mère m’a toujours pris pour un incapable. »

« Inventez, mon vieux ! La fiction est toujours plus belle que la réalité. Faites-vous photographier avec Josiane. »

« Voilà qui va être compliqué, ça fait trente ans qu’elle n’a pas souri. »

« C’est embêtant. Il faudrait arriver à dire que la famille c’est le fondement de notre société. Empruntez la femme de Martin ! »

« Je ne suis pas sûr qu’il veuille me prêter sa femme. On a déjà eu une discussion un peu tendue sur ce sujet ! »

« Bon, finalement, le mieux serait de parler de liberté. Tout le monde est d’accord là-dessus. »

« Vous croyez ? Les gens aiment la liberté à condition que ce soit la liberté de faire ce qu’ils veulent sans tenir compte de l’intérêt collectif. »

« Ce n’est pas faux. Mais tenez-vous en aux mots qui sonnent agréablement à l’oreille de vos électeurs, tout en vous indignant de la démagogie de vos adversaires. »

Des enfants bien elevés

9 septembre, 2021

« Alors comme ça, votre gamin regarde des pornos sur Internet ? »

« Nous avons sévi ! Nous sommes des parents responsables tout de même ! »

« Il fait ses devoirs à la maison ? »

« Oui, enfin… quand je ne sais pas faire. Parce que les maths, moi… D’ailleurs, on peut se demander à quoi ça sert puisque je les ai oubliées. »

« Et les dissertations ? »

« J’étais très fort au lycée. Mais là, j’ai eu une déconvenue. Je n’avais pas la même interprétation que la prof d’un texte de Rousseau. J’ai eu 6 sur 20.  Mon gamin n’était pas ravi. »

« Il a des autorisations de sortie. »

« Benjamin a 13 ans, nous bloquons la porte de sa chambre le samedi soir. Comme on est au 4e étage, on est tranquille. Quant à Sophie, 10 ans, elle fait ce qu’on lui dit, non mais alors ! De toute façon, ils n’ont pas le permis ! »

« Evidemment, ils ont un téléphone portable ou une tablette. Ou les deux. »

« Bien entendu, il n’était pas question qu’ils soient moins bien équipés que les enfants de Duplantier. Mais nous restons raisonnables, nous changeons leurs mobiles tous les six mois seulement ! »

« Et comment vous les nourrissez ces sauvages ? »

« Nous avons limité les repas constitués de frites à 5 par semaine. La bouteille de ketch-up est sous clé. Les céréales au petit déjeuner sont obligatoires, sous peine de légumes au repas de midi. Vous voyez : ça ne rigole pas ! »

« En effet. Bien entendu, je suppose qu’ils ne font aucun sport. »

« Pardon ! Pardon ! Benjamin fait ping-pong ! Nous l’avions inscrit au judo, mais il a confondu ce noble sport avec une castagne de rue. Quant à Sophie, elle est au club de lancer de fléchettes. Nous l’avions mise au basket, mais elle a déposé une réclamation à la fédération parce que le ballon est trop gros. »

« En effet, c’est un problème. Et les chambres sont-elles rangées ? »

« Nous avons obtenu un rangement une fois par mois après une négociation un peu difficile. D’ailleurs, ils ont demandé une revalorisation de leurs indemnités de rangement. »

« Je suppose qu’ils sont très investis dans les relations familiales. »

« Tout à fait, sauf avec la tante Adèle qui a de la moustache. Et l’oncle Edouard qui empeste l’alcool, ce qui n’est pas un exemple très recommandé pour les jeunes. »

« Euh… question délicate : est-ce que vos gamins vous parlent en français ? Parce que les miens marmonnent dans une langue dont je n’ai pas encore compris l’origine. »

« Vous touchez effectivement un point sensible. Mais ils sont en progrès, ils prononcent quelques mots : c’est clair, grave, je kiffe… vers midi, ils arrivent à dire : ‘faim’, ‘soif’… »

« En effet, ils sont presque civilisés. Vous pourriez en faire des politiciens. Il n’y a pas besoin de connaître beaucoup de mots : croissance, impôts, police… »

Standardisation

7 septembre, 2021

« Halte aux cadences trop lentes. »

« Vous voulez dire trop rapides ? »

« Non, trop lentes ! Il faut produire plus vite. Nos processus de production ne sont pas assez véloces. Il faut davantage standardiser les produits. »

« C’est déjà le cas ! Les maisons, par exemple, sont des cubes qui se ressemblent tous ! »

« Pas du tout. Certaines sont des cubes un peu plus grands que les autres ! Il faut tout mettre aux normes, sinon on perd du temps ! »

« Et les voitures ! On met le même moteur partout et on fait de petits changements sur les carrosseries pour donner l’impression à l’acheteur qu’il a un modèle original. »

« Peut-être, mais il faut aller beaucoup plus loin. Pourquoi des couleurs différentes ? Peignons toutes les voitures en bleu et puis c’est bon ! »

« Heureusement que j’ai encore le choix de ma marque de dentifrice ! »

« Mais mon pauvre ! C’est le même partout, il n’y a que le tube qui change. Réduisons le nombre de tubes à un, c’est largement suffisant. »

« Et pour mes vacances, je peux toujours aller dans le Cantal ? »

« Et puis encore quoi ? Vous devez faire comme tout le monde : vous entassez sur les côtes, ça permet de mieux amortir les coûts fixes des hôteliers. »

« Et mon costume cravate, vous n’allez pas me dire que sa production n’est pas assez standardisée : on a tous le même. »

« Chez les Asiatiques peut-être, mais ce n’est pas là-dessus que nous allons faire des gains de productivité. »

« Si je vous suis bien, il faut bannir tout originalité. »

« Tout à fait, vos petits goûts fantaisistes font perdre du temps aux producteurs ! Arrêtez le snobisme ! Mettez le pyjama de tout le monde pour dormir, personne ne s’en apercevra ! »

« Et pour les romans ? Ils se ressemblent déjà beaucoup : il y a les brigands, les flics qui courent après, quelques morts au passage… »

« Non, ça ne va pas. J’ai lu des romans dans lesquels on ne savait plus qui étaient les bons et les méchants. Et puis, si on les mettait en photos sur la quatrième de couverture, ça irait encore plus vite. »

« Vous avez raison : ne vendons que des couvertures ! Nous pourrions même standardiser les couvertures ! Et pour les copains ? »

« Comment ça les copains ? »

« Il faudrait aussi standardiser ses copains et les copines. »

« C’est un peu le principe des sites de rencontre. On définit les types de copains ou copines qu’on veut, ça va plus vite pour se plaire. »

« Remarquez qu’on pourrait aller encore plus vite en supprimant les rencontres. Restons chez nous, ça économise de l’énergie ! »

Un polisson

29 août, 2021

« Madame, vous me repoussez alors que mon cœur brûle d’amour pour vous ! J’en suis profondément blessé. »

« C’est-à-dire que vous n’êtes pas très beau ni très riche, baron ! Donc, ça m’arrangerait que vous bruliez ailleurs ! »

« Avez-vous bien regardé mon arbre généalogique, comtesse ? Mon ancêtre Pierre-Auguste s’est distingué à la bataille de Bouvines aux côtés du roi Philippe ! »

« C’est-à-dire que je n’ai pas l’intention d’épouser votre ancêtre, baron. »

« Et mon habileté au jeu du tric-trac ? N’y-a-t ’il pas là une originalité capable de retenir l’attention de vos sentiments à mon égard ? »

« Euh… je n’ai pas vraiment l’intention de passer mon temps en jouant aux dés avec vous ! »

« Feu la baronne, ma mère, m’a légué des dons de cuisiniers tout à fait extraordinaires ! « 

« Ne vous fatiguez pas, cher ami. J’ai un homme de l’art qui réussit des bouchées à la reine merveilleuses, sans compter des montagnes de pâtisseries des plus fines ! »

« Bon alors que puis-je faire pour vous divertir ? Vous contez quelques historiettes particulièrement lestes ? Quelques grivoiseries amusantes ? »

« Monsieur ! Me prenez-vous pour une femme de mauvaise vie ? »

« Pas du tout, je cherche à remonter dans votre estime, madame qui me traitez si bas. Peut-être une petite improvisation au clavecin… »

« Dois-je vous rappeler que toute la Cour s’est moquée de votre dernière prestation, baron ? Sa Majesté s’en est vivement gaussée. »

« Je vois que vous prêtez l’oreille à de mauvaises rumeurs. Savez-vous que sa Majesté s’est prise d’un réel intérêt pour ma collection de boîtes de fromage ? »

« Je ne manquerais pas d’en faire part à mon fromager, mais je serais plutôt tentée par une collection de pierres précieuses dont je pourrais faire monter les joyaux en colliers. Vous n’auriez pas quelque chose comme ça, monsieur ? »

« Non, par contre, j’ai une très belle galerie de tableaux exécutés par des artistes orientaux qui sont d’une finesse exquise. »

« N’êtes-vous pas en train de me parler de vos estampes japonaises, monsieur. La marquise Dubout a déjà eu l’avantage de les visiter. Elle fut fortement étonnée que cette exposition se termine dans votre boudoir, monsieur. »

« La marquise n’a pas votre goût pour les belles choses, madame. Elle n’a pas la luminosité de votre regard, la douceur de votre peau ou l’élégance de vos gestes. »

« Monsieur, veuillez cesser ces viles flatteries avant que je décide de les rapporter au comte, mon époux, qui pourrait s’en trouver contrarié et vous provoquer en duel. »

« Monsieur le Comte étant atteint par les maladies relatives à son âge, je crois que je vais continuer à louer votre grande beauté, madame. »

« Vous êtes un fripon, baron. Rhabillons-nous et fuyez de mes appartements ! »

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