Archive pour la catégorie 'Lucien Grognasson'

Quand Lucien Grognasson était jeune

10 septembre, 2009

Aujourd’hui, Mademoiselle Dulampion a amené sa classe de CM1 chez Monsieur Grognasson.

Devant tous ces enfants, assis ou accroupis autour de son fauteuil, Monsieur Grognasson raconte comment les choses étaient de son temps, en tirant tranquillement sur sa bouffarde.

A son époque, les enfants étaient propres, polis, respectueux de leurs parents et des représentants de l’Autorité de manière générale. Entre autres, ils évitaient d’attaquer le Commissariat de Police à coups de pierraille comme certains qu’on évitera de nommer ici !

 Ils se levaient quand le maître arrivait en classe et apprenaient bien leurs leçons au lieu d’organiser un tour de bête pour tenir la fonction de souffleur lors des interrogations orales, n’est-ce pas Jérémy !

Le soir, ils se couchaient de bonne heure sans rouspétance de façon à être en forme pour l’école et ne se relevaient pas en douce pour voir des films interdits aux jeunes à la télé ! N’est-ce pas Giorgio !

Dans la rue, ils aidaient les vieilles personnes à traverser ou à porter leurs baluchons et ne se moquaient pas de leur faiblesse comme c’est si courant maintenant ! N’est-ce pas Alexis !

Le samedi, ils allaient au catéchisme pour apprendre à bien se comporter dans la vie et non pas au bistrot pour jouer leur argent de poche au PMU, n’est-ce pas Benjamin !

Mademoiselle Dulampion remercie Monsieur Grognasson de cette excellent leçon : il y a tant de bénéfices à tirer de l’expérience de nos grands aînés !

Soudain, Benjamin lève le doigt et demande à sa maîtresse à propos de Monsieur Grognasson :

- Il en en vrai ? On peut le toucher ?

Lucien et Maurice

10 juillet, 2009

Lucien Grognasson arrive à son Cercle des Anciens Officiers de Marine. Il tombe sur son ami Maurice Gromelle, un vieux copain de l’époque des colonies.

-          Mon pauvre Maurice ! C’est la crise !

Maurice acquiesce. Tout va mal. Le pouvoir d’achat est en berne, le chômage s’aggrave, le déficit public est un trou sans fond. Maurice résume la situation :

-          C’est plus comme de notre temps !

Lucien Grognasson renchérit : le marasme s’étend. Même son charcutier Sébastien Rougeaud est touché par la récession. Maurice se rend-il compte que Sébastien Rougeaud ne vend plus que des tranches de jambon à une clientèle qui se raréfie ?

Maurice ne savait qu’on en était là dans la charcuterie. C’est vraiment que tout va de mal en pis. D’ailleurs, il pense que le recul dépasse largement les limites de l’économie. Il constate un affaissement général des valeurs chez les jeunes. Plus aucun adolescent ne veut travailler de ses mains ! Lui est entré à l’usine à quatorze ans ! Ça vous forme un homme !

Lucien Grognasson et Maurice Gromelle ronchonnent contre l’air du temps et méditent un instant  tout en commandant une nouvelle bière au bar.

Et c’est à ce moment précis qu’ils aperçoivent par la fenêtre ouverte Josiane Dulampion, la voisine de Lucien Grognasson. Sa silhouette jeune et vive se balance harmonieusement au rythme de ses pas. Lucien Grognasson n’a jamais pu résister au charme de sa queue de cheval d’écolière et de ses fossettes rieuses. Les deux hommes se poussent du coude en admirant sa démarche. Et la lumière revient dans leurs regards.

La soirée de Lucien Grognasson

18 juin, 2009

Ce soir-là alors que les ombres du crépuscule gagnaient son salon, Lucien Grognasson revécut un instant sa grande époque coloniale.

Chaque matin, le major Grognasson, en uniforme blanc impeccable déjeunait sur la terrasse de sa villa alors que la forêt émergeait lentement de son écharpe de brume et que les cacatoès éveillaient de leurs cris rauques une faune inconnue et monstrueuse. 

Dans la cour, son boy Idriss procédait comme chaque jour au lever des couleurs en massacrant l’hymne national sur un vieil électrophone dont il ne se séparait jamais  tandis que les domestiques s’affairaient déjà au ménage et au linge. 

Au loin, les silhouettes déhanchées des femmes du village revenaient du marché en portant de lourdes charges sur le sommet du crâne.     

Ce soir-là, Lucien Grognasson effaça d’un geste las les souvenirs qui l’assaillaient, ouvrit une boite de raviolis, la télé pour suivre une émission de variétés débile et sa feuille d’impôts pour achever sa déclaration fiscale.

Lucien Grognasson s’inquiète

16 avril, 2009

Ce matin, Lucien Grognasson se réveille avec une curieuse sensation.

Il n’a mal nulle part depuis qu’il a consulté un rhumatologue.

Le gouvernement vient d’augmenter sa retraite.

Les impôts sont abaissés.

L’armée française sera à l’honneur pour le prochain 14 juillet.

On a arrêté les pilleurs de voitures dans le quartier.

Le temps de la journée s’annonce radieux : ni pluvieux, ni trop sec.

Le buraliste lui a mis de coté ses hebdomadaires favoris.

Madame Turlututu lui a laissé la parole dans l’échoppe du boucher hier matin.

Et les jeunes de l’immeuble l’ont salué avec politesse quand il est rentré chez lui !

Si, si !

Lucien Grognasson est terrorisé : aucun motif  de plainte à l’horizon !

Lucien Grognasson en mauvaise posture

20 mars, 2009

Ce matin, Lucien Grognasson est en forme. Il a beaucoup de récriminations à faire valoir auprès de qui veut l’entendre.

Il arrive chez Monsieur Petitgrain, le boucher, prêt à exposer ses doléances. Mais Madame Pichegru est là, fourbe, sournoise, rapide comme une anguille. Elle lui coupe ses effets. Elle se plaint des travaux que la mairie à engager sous ses fenêtres soi-disant pour y réparer des canalisations ! Elle n’est pas sûre que ce soit la Mairie, mais le problème est le même ! Monsieur Grognasson se rend-il compte ? La semaine dernière, elle avait déjà  du endurer d’autres travaux pour installer le tramway !

Lucien Grognasson aimerait bien placer son couplet sur les mobylettes des jeunes qui pétaradent dans la rue jusqu’à une heure avancée de la nuit, mais Madame Pichegru est volubile. Elle ne cède pas un pouce d’espace d’expression à Monsieur Grognasson. Voici qu’elle s’en prend au facteur qui s’est encore trompé en distribuant son dernier numéro de Modes et Travaux dans la boite aux lettres de Madame Bourrichon, tandis qu’elle, madame Pichegru, a reçu le roman photo à l’eau de rose de Madame Bourrichon. A son âge, c’est ridicule de lire de telles bêtises! Qu’est-ce que Monsieur Grognasson en pense ?

Lucien Grognasson n’a pas le temps de penser. De toutes façons, Madame Pichegru s’en fiche. Elle s’attaque à Madame Poulineau qui a bassement intrigué auprès du marchand de tabac pour qu’il lui réserve le dernier numéro disponible de « Voici » de façon à ce qu’elle ne puisse pas le lire !

Le boucher se retourne enfin, en s’essuyant les mains sur son tablier blanc, rougi de sang :

-Et pour Monsieur Grognasson qu’est-ce que ça sera ?

Monsieur Grognasson veut des pieds de porcs, mais il est devenu maussade. Personne n’écoute ce qu’il a à dire.

Les malheurs de Lucien Grognasson

20 février, 2009

Lucien Grognasson est enrhumé. La tête comme un caisson, le nez qui coule, l’humeur en berne. Pour ce qui est de la mauvaise humeur, le voisinage a l’habitude, il peine à faire pire. Voici qu’il croise dans l’escalier Mademoiselle Dulampion, toujours aussi fraîche. D’un joli mouvement de tête, elle salue gaiement Monsieur Grognasson :

-          Bien le bonjour, Monsieur Grognasson, comment allez-vous aujourd’hui ?

Lucien Grognasson saisit la balle au bond. Il dit qu’il va très mal, qu’il a surement la grippe. On dit qu’elle est chinoise cette année et donc certainement mortelle.

Mais Mademoiselle Dulampion connait bien notre homme :

-          Voyons ! voyons ! Monsieur Grognasson, ce n’est sans doute qu’un gros rhume…

Monsieur Grognasson n’est pas ravi qu’on minimise son affection. Il répond qu’il avait un cousin qui croyait aussi souffrir d’un rhume et qui n’en est jamais revenu. C’était durant cette drôle de guerre.

La queue de cheval de Mademoiselle Dulampion s’agite affectueusement :

-          Je vais vous donner le remède de ma grand-mère, Monsieur Grognasson : vous coupez un oignon en deux sur votre table de nuit et il vous débarrassera de vos microbes pendant que vous dormez ! Ce n’est pas merveilleux ?

Monsieur Grognasson ne trouve pas. Il faudrait une consultation médicale et des remèdes qui aient l’air beaucoup plus sérieux qu’un oignon. Même coupé en deux.

La nuit suivante, Monsieur Grognasson essaie le truc de Mademoiselle Dulampion. On ne sait jamais, se dit-il. Le lendemain les fosses nasales de Monsieur Grognasson sont largement dégagées. Il croise de nouveau Mademosielle Dulampion à laquelle il est bien obligé d’avouer son succès thérapeutique.

Mais, du coup, Monsieur Grognasson est abattu : il n’a plus de motif à avancer pour se faire plaindre ! A tout hasard, il claudique un peu en rentrant chez lui. Mais Mademoiselle Dulampion est déjà partie de son pas souple et léger. Cette jeunesse n’a pas beaucoup d’attention pour ses aînés, tout de même !

Lucien Grognasson et sa voisine

7 février, 2009

Monsieur Grognasson n’a jamais de chance. D’abord, parce qu’avec un patronyme comme le sien, tout le monde pense qu’il a une vision négative de l’existence, alors que Lucien Grognasson – on l’oublie trop souvent- était un joyeux luron. Enfin… autrefois. Ensuite, il est né un 29 février. Son anniversaire qu’il ne fête d’ailleurs pas revient tous les quatre ans seulement. Le pire, c’est que sa date de naissance ne sort jamais du tirage du loto tandis que celle de sa jeune voisine mademoiselle Dulampion s’est inscrit à trois reprises au palmarès!

L’an dernier à la fête du quartier, Lucien Grognasson a pris jusqu’à trois tickets de tombola ! Il espérait décrocher le gros lot : un voyage dans le Berry à la découverte de la cathédrale de Bourges. Eh bien, Lucien Grognasson s’en est retourné chez lui avec un magnifique panier à salade ! Le week-end suivant Mademoiselle Dulampion prenait tranquillement le train pour un splendide séjour dans la campagne berrichone ! Quelle injustice !

Parfois, lorsque Monsieur Grognasson sort chercher son pain, il croise Mademoiselle Dulampion sur le pas de la porte de son immeuble. Dorothée Dulampion, fraîche et rose, lui lance alors joyeusement :

-          Bien le bonjour Monsieur Grognasson ! Comment allez-vous aujourd’hui ?

Quelle arrogance !

Lucien Grognasson et les temps modernes…

4 février, 2009

Lucien Grognasson moud son café grâce au moulin manuel de Madame Grognasson mère, décédée au cours de sa cent unième année en dépit d’une consommation intensive du fameux nectar. Il trouve que l’utilisation de l’engin permet au breuvage d’exhaler  parfaitement  sa délicieuse senteur lorsqu’il est acheté en grains concassés à la main.

Lucien Grognasson vient de fêter le cinquantième anniversaire de son téléviseur. Il fut le premier de son immeuble à en posséder un et il est toujours en état de marche ! Certes Monsieur Grognasson doit parfois froncer les sourcils pour distinguer les ombres qui se profilent sur son écran, certes Monsieur Grognasson ne reçoit plus qu’une chaine parmi les 364 qui sont perçues chez son voisin, mais quelle fierté lorsque les écoliers du quartier, dirigés par leur maître, viennent admirer ce véritable vestige des temps anciens.

Lucien  Grognasson se rase toujours avec le sabre qu’a utilisé pour la première fois son arrière grand père Amédée Grognasson, lors du siège de Sedan en 1870. Le coupe-chou est peut être un peu surdimensionné pour son objet, mais il suscite l’admiration de ces dames et la fascination de la presse professionnelle consacrée au métier de barbier.

Lucien Grognasson se rend au défilé traditionnel du 14 juillet au volant de sa Frégate modèle sport de 1956. La sortie du véhicule entraine chaque année un sympathique mouvement de foule dans les rues et un arrêt immédiat de la circulation sur son passage.

Lucien Grognasson n’a rien contre le modernisme, mais quand même, il pense qu’aujourd’hui, on ne produit d’objets aussi solides qu’autrefois…

Les aventures de Lucien Grognasson

24 janvier, 2009

Aujourd’hui, Monsieur Grognasson est mal à l’aise. Lorsqu’il est sorti de son immeuble, les jeunes l’ont salué poliment, en se découvrant respectueusement. Certains ont même tenu la porte à son passage. Dans la rue, les conducteurs ont respecté les passages pour piétons, s’arrêtant courtoisement au moment où Monsieur Grognasson s’y engageait. Il a même vu des adolescents aider des personnes âgées à traverser !

De plus, non seulement le temps est de la partie  pour sa promenade quotidienne, mais encore la présentatrice de la météo ne s’est pas trompée, après le journal télévisé de la veille ! Décidemment, ce n’est pas le jour de Monsieur Grognasson . Les allées du parc où il aime à flâner sont propres. Aucun papier gras ne traîne à terre. Pas la moindre canette de bière n’est abandonnée au pied des arbres !

Monsieur Grognasson n’est pas au bout de ses ennuis. En rentrant chez lui, il a l’habitude de passer à la pâtisserie de Madame Poulichet, la pâtissière avec laquelle il peut à loisir se lamenter sur les évènements déplorables du quartier. Eh bien ! Nous vous le donnons en mille, Madame Poulichet sourit aujourd’hui ! Elle accueille Monsieur Grognasson d’un grand :

-          Vive la vie, Monsieur Grognasson !

A ce cri d’allégresse, Lucien Grognasson se dresse d’un bon sur son lit. Il est en sueur. Puis, soulagé, il se rend compte qu’il vient de faire un mauvais rêve : une existence où il n’y aurait plus aucun motif de se plaindre !