Soyons moroses !
C’est l’histoire de Jean, le fils de madame Loubard qui vendait des serpillières. Le jour, Jean aidait sa mère au magasin de serpillières. Lorsqu’un client achetait une serpillière bas de gamme, Jean lui jouait un air d’harmonica pour l’encourager. Pour l’achat d’une serpillière de couleur, l’acheteur avait droit à un air de saxophone. Pour la serpillière premium, Jean prenait sa cornemuse et sa mère dotée d’une très belle voix entonnait « Amazing grâce ».
Les clients adoraient venir dans la boutique de madame Loubard. La vente de serpillière prit un essor considérable. Pour le plaisir d’entendre la musique de Jean, les clients constituaient des stocks de serpillières.
Un concurrent de madame Loubard, monsieur Tournevisse voulut se servir du concept commercial qu’elle avait inventé. Lui vendait des sacs poubelles. Il trouva astucieux de se spécialiser dans les sacs de 30 litres. Lorsque les clients arrivaient dans sa boutique, un chanteur d’opéra qu’il avait embauché faisait entendre sa voix profonde dans les grands airs classiques. Les clients s’empressèrent dans le magasin de monsieur Tournevisse. Dans les ménages, on ne savait plus où ranger les sacs poubelle.
De nombreux commerçants prirent le même genre d’initiative. Par exemple, un constructeur automobile mobilisait un orchestre symphonique pour récompenser les acquéreurs de ses modèles. Le gouvernement, informé de ces succès, offrit une séquence de rap chaque fois qu’un contribuable payait ses impôts. Les banques mirent en place un concert de rock alternatif pour tout dépôt d’argent. Dans les collèges et lycées, chaque bonne note était saluée de l’hymne national.
Les gens étaient ravis de payer des impôts. Ils se précipitaient pour sortir leur argent de leurs armoires et le déposer en banques. La plupart des élèves travaillaient très bien. Madame Lombard et monsieur Tournevisse décidèrent de se marier, à eux deux ils avaient accumulé une fortune considérable.
Mais le Diable veillait. Une sorte de mécanisme pervers se mit en place. Pour Lucifer, le bonheur ne devait pas exister, surtout accompagné de musique. Il soutenait que cela créait beaucoup trop de chômage : les journalistes ne pouvaient plus relater de catastrophes, les politiciens n’avaient plus rien à faire, les gens qui n’aimaient pas la musique déprimaient…
Comme souvent dans cette population, un parti des « antis » (bien aidé par Lucifer) se souleva, exigea et obtint la fin de toute réjouissance musicale sauf le 14 juillet. C’est ainsi que naquit un pays submergé par la grisaille, la tristesse et la morosité du quotidien.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.