Le vendeur de phrases

C’est l’histoire de l’entreprise qui vendait des phrases toutes faites. Par exemple, quand on allait à un mariage, on pouvait acheter quelques banalités à placer le jour de la cérémonie du genre : mes meilleurs voeux de bonheur ; quelle belle cérémonie religieuse ; c’est vous qui avez choisi le traiteur ; et les enfants, c’est pour quand ; cette fois, on a réussi à caser Gérard… Evidemment pour les funérailles, l’entreprise disposait d’un autre jeu de répliques.

A ceux qui s’interrogeaient sur la légitimité de l’existence de cette société, son directeur, monsieur Petitbon, répondait qu’à l’époque où l’on vendait des salades en sachet toutes prêtes, il n’y avait rien d’étonnant à commercer des éléments de conversations, de la même manière.

Effectivement,  l’entreprise de monsieur Petitbon connut un certain succès, dû au grand nombre de personnes  que les obligations mondaines indisposaient fortement.

Fort de son avantage, monsieur Petitbon ouvrit une nouvelle activité : les conversations de couples. Lorsque la relation conjugale devenait un peu languissante, on pouvait acheter des phrases du type : qu’est-ce qu’on mange ce soir, n’oublie pas de téléphoner à ta mère pour son anniversaire, il faudrait penser à réserver quelque chose pour cet été…

Ce commerce n’était pas du tout du goût de la Ligue des Improvisateurs. Ces derniers dénonçaient les méfaits du néo-libéralisme qui s’insinuaient de partout jusqu’à standardiser le contenu des  conversations les plus courantes. Pour les Improvisateurs, chacun devait prononcer des phrases de son cru, totalement originales.

Monsieur Petitbon défendit son fonds de commerce. Il dit qu’on a toujours le droit d’être terne et peu inspiré dans la conversation, auquel cas il vaut mieux émettre des phrases banales que passer pour un vieux sauvage.

Monsieur Petitbon pour faire taire les critiques ouvrit un département « Météorologique ». Là encore la demande dépassa toutes les espérances. On y vendait de tout : depuis le célèbre « il fait beau aujourd’hui, n’est-ce pas » jusqu’au « oui, mais il fait plus froid que l’an dernier à pareille époque ».

Pour l’achat d’une phrase complètement nulle, monsieur Petitbon ajoutait parfois un petit bonus du genre « qu’est-ce qu’il y a à la télé, ce soir ? »

Les efforts de Monsieur Petitbon furent brillamment récompensés. Monsieur le ministre de l’Abêtissement  Généralisé lui remis la légion d’honneur, le 14 juillet dernier.

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