Archive pour janvier, 2023

L’ascète

24 janvier, 2023

C’est l’histoire de Jean, notre collègue de bureau. Le patron l’aime bien parce qu’il peut tout lui demander. Jean poursuit son chemin quoiqu’il arrive, même lorsqu’il devient ardu ou pentu. Jean est né pour souffrir ; il le sait et accepte ce destin.

A table, il ne prend jamais de dessert ni de choses sucrées. Il mange du pain, même quand il est rassis. Dans son assiette, il calcule ses parts en fonction de ses capacités biologiques et ne mange jamais plus que nécessaire.

Pour arriver au bureau, il monte les cinq étages à pied et s’interdit l’ascenseur. Il vient même quand il est malade. Son bureau est toujours nickel ; aucun dossier, aucune note ne traînent ; tout est classé. Lorsque quelqu’un organise un pot convivial, il ne boit jamais d’alcool.

Le vendredi, il emporte des tonnes de dossiers pour travailler pendant le week-end. En voiture, il respecte toutes les limitations de vitesse.

Jean est habillé de gris, sans aucune fantaisie vestimentaire. Il ne rigole jamais.

Un jour, je lui ai dit qu’il lui manquait la dimension du plaisir. Depuis, il prend l’ascenseur pour me faire plaisir.

Le faussaire

20 janvier, 2023

C’est l’histoire de Fousticot, le faussaire. Fousticot fabriquait de la fausse monnaie, ce qui n’inquiétait pas trop les autorités puisque ses billets étaient faux, tellement faux que les seuls clients de Fousticot étaient les fabricants de jeux de société.

Mais il arriva que, par une erreur de son imprimeur, Fousticot produise une fausse monnaie tellement vraie qu’on ne savait plus que c’était de la fausse monnaie.

Aussitôt, les citoyens se précipitèrent dans la boutique de Fousticot pour acheter de la vraie fausse monnaie. Par exemple, Fousticot vendait 10 un billet de 100.

Il devint vite très riche puisque ses clients payaient en vraie monnaie. Ses acheteurs s’enrichirent également puisqu’ils recevaient de la fausse monnaie qui était tellement vraie qu’on pouvait considérer que c’était de la vraie.

Dans le village, on vit apparaitre de somptueuses voitures, des maisons neuves qui ressemblaient à des châteaux, des fermières parcourir les rues en habit de princesse.

Tout le monde était heureux, sauf le commissaire Dulampion qui soupçonnait une anomalie dans cette nouvelle vie. C’est ainsi qu’il fit une entrée remarquée dans l’atelier de Fousticot :

— Fousticot, vous fabriquez de la fausse monnaie, je vous arrête, hurla le policier.

— Elle n’est pas fausse, répondit Fousticot, puisqu’en tous points elle ressemble à de la vraie. C’est donc de la vraie monnaie.

Le commissaire resta interdit en entendant cette réplique. Fousticot insista :

— Rendez-vous compte, commissaire, avec mon argent, tout le monde est heureux !

Le policier ne l’entendit pas ainsi :

— Mais, mon jeune ami, sachez que les gens n’ont pas à  être heureux. Ils doivent bosser, s’inquiéter de pouvoir nourrir leur famille, envier leurs voisins qui ont une plus belle voiture qu’eux, rêver à des projets inaccessibles, se vautrer dans la frustration permanente… Où avez-vous pris que chacun doive obligatoirement être heureux dans ce pays ?

Tristesse…

8 janvier, 2023

C’est l’histoire d’un orphelin. Il avait connu à peine sa mère, et pas du tout son père. C’était le début d’une histoire triste, particulièrement triste. Il s’appelait Sam. Sam racontait son histoire à ses camarades sur les bancs de la classe. Il les faisait pleurer parce qu’elle était triste, particulièrement triste.

On l’aura compris Sam était un homme triste, particulièrement triste.

A l’âge de prendre femme, il jeta son dévolu sur la belle Maria. Mais il lui faisait sa cour de manière si triste que Maria ne cessait de pleurer. Elle devenait triste, particulièrement triste.

En même temps, le beau Raoul comptait aussi fleurette à Maria. Raoul était un garçon joyeux, particulièrement joyeux. Maria gronda :

— Raoul ! Comment peux-tu être aussi joyeux alors que Sam est si triste ?

Raoul eut honte de sa décontraction et devint à son tour, particulièrement triste.

Sam et Maria eurent deux enfants qui furent atteints de tempéraments moroses, particulièrement moroses. Ils donnèrent naissance eux-mêmes à des enfants qui connaissaient des moments de crise, pendant lesquels ils étaient maussades, particulièrement maussades.

Ainsi, de générations en générations, la tristesse de Sam s’atténua, jusqu’en l’an 2000 où Marius vit le jour. A la stupéfaction du personnel de la maternité, Marius arriva sur Terre en rigolant. Cette attitude fut la sienne jusqu’à la mort, ce qui pourrait donner lieu à un nouvelle histoire si l’auteur n’avait pas ses courses à faire.