Le bourgeois triste
10 août, 2022C’est l’histoire de Lucienne de Sienne. Lucienne faisait toujours des siennes. C’était une véritable coquine dont il nous faut narrer les exploits. Ajoutons pour bien comprendre la suite qu’elle était gaie, vive et charmante de corps et d’esprit.
Le matin, sur son lopin de terre, elle jouait avec ses lapins et son cabot qui n’était pas beau. Puis elle se rendait sur la falaise pour rejoindre son bourgeois sans joie. Il se nommait Gilles et ne lisait que l’évangile au lieu de se contenter de son hebdomadaire de télé comme tout le monde.
— Holà, mon bourgeois, dit Lucienne. Ne peux-tu pas ressentir un peu de joie dans cette vie ?
Le dit bourgeois la regardait avec un air de commisération :
— C’est que je trouve cette vie bien triste, ma bourgeoise.
A ces mots, Lucienne rejoignit son cours d’abdos-fessiers et pour ne point trop grossir de façon à être toujours accorte pour son bourgeois. Ce dernier ne s’aperçut pas des efforts de son épouse et — pour tout dire — il s’en ficha complètement. Lucienne en fut fortement affectée :
— Ah, ça ! Tu t’en fiches, riche bourgeois ? Eh bien tu vas voir !
Lucienne résilia son abonnement à sa salle de sport. Elle devint ronde, mal fichue, aux cheveux fourchus. Même Charles, le charlatan qui la courtisait changea de ville. L’époux de Lucienne qui était toujours bourgeois se rendit compte de sa transformation. Il nous faut dire ici, avec une certaine tristesse, qu’il se montra un peu pathétique :
— Ah, enfin ! déclara-t-il. Voilà tout ce que ma vieille carcasse mérite : un laideron rond !
Moralité : Voilà un conte bien cruel.