L’utilitarisme

« Vous musardez, monsieur ! »

« Oui, je flâne, le nez au vent, les mains dans les poches. »

« Vous ne servez à rien ! Ça ne vous dérange pas ? »

« J’en étais sûr ! Revoilà la civilisation de l’utilitarisme. Moi, j’aime bien ne rien faire d’autre qu’observer la vie et les gens. »

« Vous vous rende compte du désastre économique si tout le monde faisait pareil que vous ! « 

« Il y aurait peut-être moins de conflits et de crispation dans la société. Il devrait y avoir des formations de poètes pour nos jeunes gens et jeunes filles. »

« Ce n’est pas comme ça qu’on construit un pays. Que faites-vous de la valeur travail ? »

« Je suis plus attaché au contact avec la nature : les arbres, les oiseaux, le vent, les nuages, les odeurs naturelles. Tout ça, c’est plus important que le revenu national. »

« Si je comprends bien, on revient avec vous aux temps primitifs de la civilisation. »

« Bon, je vois ce que c’est. Tout ce qui n’est pas utile, vous déplait. Moi, je pense qu’on devrait offrir à tous les salariés des stages d’inutilité. »

« Par exemple ? »

« Chacun baguenauderai dans sa ville sans rien faire en souhaitant le bonjour à tous ceux qu’il rencontrerait sur son chemin. Voilà qui rendrait la vie quotidienne plus heureuse pour tout le monde ! »

« Vous plaisantez ! Si je ne peux plus partir au boulot, par tous les temps, en prenant l’air soucieux et affairé, que vont penser mes voisins ? »

« Ils aimeraient sûrement en faire autant ! Si vous pouviez réciter un poème, une sorte d’ode à la nature en passant devant chez eux, je suis sûr qu’ils seraient bouleversé. »

« Ou alors, ils appelleraient le Samu. Vous vous rendez compte de l’exemple que vous donnez, surtout à nos jeunes gens et jeunes filles qui sont si impatients de travailler. »

« Au lieu de les former à éviter le chômage, on devrait leur apprendre à regarder autour d’eux sans se presser bêtement. »

« Vous voulez une génération de fainéants ? »

« Non, plutôt une génération de gens décontractés. En fait, le boulot use votre capital santé, surtout si vous vous sentez obligé de bosser. Regardez-moi, je suis parti pour ne pas faire grand-chose jusqu’à devenir centenaire. »

« Vous ne voulez même pas faire un petit quelque chose d’utile ? »

« Non, ça ne m’intéresse pas. Mais si vous y tenez, je vous dirais que je suis quand même un peu utile en montrant qu’il y a une autre manière de vivre… »

« En montrant l’exemple de l’oisiveté sous prétexte d’épouser la nature ! »

« Bon d’accord, vous m’avez convaincu. Je vais m’inscrire au chômage, comme ça je serai toujours inutile, mais un inutile homologué. »

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