Un sauvage
23 janvier, 2022« Monsieur, vous êtes un sauvage. Vous vivez dans les bois. »
« Oui et alors ? »
« Savez-vous que la civilisation nous a apporté toutes sortes de bienfaits : un toit, un chauffage, une salle de bains, des équipements ménagers, etc… »
« Oui, mais enfin, avec de l’imagination, on peut vivre sans tout ce bazar qui coûte cher et qui pollue l’environnement. »
« Certes, mais vous ne me direz pas qu’un bon matelas… »
« On peut très bien dormir au contact de notre Terre nourricière et aller se laver à la rivière. Nos ancêtres ont vécu comme ça pendant plusieurs siècles. »
« Et pour vos distractions, c’est un peu restreint. »
« Pas du tout. Je peux me balader, lire, écouter les oiseaux… J’écoute les bruits de la forêt, quoi ! »
« Vous vous rendez compte : si tout le monde faisait comme vous, il n’y aurait plus de vie. Plus de gens dans les rues encombrés, plus de gens bourrés dans le métro, plus de gens au boulot… »
« En un mot : il y aurait davantage de gens libres de toute contrainte. Finalement, la civilisation tient debout grâce aux contraintes qui s’exercent sur chacun. »
« J’en étais sûr : vous philosophez ! Depuis Diogène, ceux qui abandonnent tout se croient dans l’obligation de philosopher. »
« C’est normal, nous retournons à l’essentiel. Vous vous êtes un peu bas de plafond parce que votre vision est obscurcie par la nécessité de posséder toujours plus. »
« Dites tout de suite que je suis idiot. »
« Non, mais vous acceptez d’être un truc minuscule dans une grande machine qui vous dépasse et qui fonctionne de manière parfaitement cohérente. »
« Bon, vous m’avez convaincu. La semaine prochaine, je viens avec mes copains et on s’installe dans votre forêt. »
« Il ne manquerait plus que ça ! Vous allez tout gâcher ! Dès qu’un groupe de personnes s’installent quelque part, ils veulent s’organiser. Chacun se spécialise : on voit apparaitre des commerçants, des soignants, des maîtres pour les enfants… Et c’est reparti pour un tour ! »
« Si je comprends bien, on ne peut pas vivre comme des sauvages à plusieurs ! »
« Ben…. C’est ça. En plus vous allez me déranger. Si d’autres font comme vous, on aura bientôt introduit la civilisation dans la forêt. Pour avoir la paix, il ne me restera plus qu’à aller en ville. Reconnaissez que ce serait un comble. »
« Donc vous voulez conserver les avantages de la nature pour vous ! »
« Oui, ce serait mieux. En fait, je vous rends service. Je vous rappelle temps à autre qu’on peut très bien vivre heureux sans accumuler de l’avoir. »
« Eh voilà ! Vous philosophez et en plus, vous faites de la politique. Vous ne seriez pas un peu gauchiste par hasard ? Si ça ne vous dérange pas, je préfèrerais m’installer dans une forêt de droite. »