Les casseurs

« Non, monsieur, je ne brise pas, je casse. Je suis un casseur, un vrai, un dur. »

« Et vous casser quoi ? »

« Tout ce qui me parle de la richesse et du capitalisme. Les banques par exemple. Enfin, sauf la mienne… Je ne vais tout de même pas faire dix kilomètres pour aller chercher de l’argent quand j’en ai besoin. Et puis j’ai besoin de Georges Duplantier, le directeur pour jouer au tennis. »

« Et les voitures, vous cassez aussi ? »

« Au-dessus d’un certain niveau de luxe, oui. Je prends soin de cacher la mienne, pour qu’il n’y ait pas de malentendu. Mes camarades se trompent parfois de cibles quand ils sortent d’un estaminet. »

« Bon ! Et les Ministères, ça vous énerve aussi. »

« Oui, bien sûr. J’ai une préférence pour celui de l’Agriculture. Parfois, nous avons une collaboration avec nos confrères agriculteurs qui déversent du fumier tandis que nous cassons la porte. »

« Vous opérez essentiellement en centre-ville ? »

« Non, je peux aussi aller en zone rurale, mais actuellement nous manquons un peu de ZAD à défendre. Vous n’auriez pas quelque chose à me conseiller. Non, pas vraiment ? »

« Vous croyez que vos actions font avancer les choses ?  Finalement, le monde n’est-il pas toujours le même : il y a l’argent d’un côté et la pauvreté des autres en face des premiers. »

« Très juste. Et les pauvres attaquent les nantis. C’est normal. »

« Comment se fait-il que vous soyez du côté des nantis, tout en attaquant les nantis ? »

« Je ne sais pas trop. De toute façon, les casseurs ne réfléchissent pas. C’est bien connu. S’ils réfléchissaient, ils respecteraient l’ordre établi depuis la nuit des temps. »

« Donc, vous pensez que le cassage est arrivé avec la venue des Hommes sur Terre. »

« Bien sûr, vous croyez que Neandertal prenait des gants pour expliquer à son voisin plus riche que lui, qu’il l’énervait et qu’en conséquence, il allait lui casser la figure. »

« Mais peut-être que son voisin travaillait plus que lui. »

« Grâce à la charrue perfectionnée qu’il avait hérité de son père, lui-même héritier d’une longue lignée d’agriculteurs capitalistes. Vous voyez : on n’en sort pas. »

« Et pour vos gamins ? »

« C’est gilet jaune obligatoire, c’est un minimum ! Julien voulait rentrer dans la police. J’ai dû me fâcher très sévèrement. S’il aime l’ordre, il pourrait commencer par ranger sa chambre. »

« Et Juliette ? »

« J’ai bon espoir. A cinq ans, elle me casse déjà bien les pieds ! »

« Je suppose que vous leur apprenez des valeurs élevées : la solidarité, la fraternité, l’égalité, la liberté, l’éducation, le respect… »

« Bien sûr et puis aussi l’injustice, le favoritisme, la jalousie, l’argent facile, l’arrogance, le mépris, l’exclusion… Enfin bref, toutes les joyeusetés de la vie. »

Laisser un commentaire