Un noble d’aujourd’hui
31 octobre, 2021« Je préside à ma destinée, je dirige mes pas, je suis chef dans ma cuisine, je conduis ma voiture…. Bref, j’ai beaucoup plus de pouvoirs que l’on ne le croit. »
« On peut même dire que vous vous accaparez tous les pouvoirs sur vous-même. Pourtant, il vous manque un titre honorifique. »
« Non. Sachez que je suis le Baron Martin. Je descends d’une très haute lignée de nobles. Le petit problème, c’est que toutes mes terres m’ont été volées. Ma baronnie, c’est moi-même. »
« Monsieur le baron envisage-t-il d’aider madame la baronne lors du ménage du week-end ? »
« Non, pas vraiment, ce serait contraire à ma dignité. J’envisage plutôt d’employer une ribaude ou un manant pour les tâches manuels. Mais l’agence pour l’emploi s’est déclarée incompétente pour ce genre d’activité ! »
« Et pour travailler vous-même ? »
« Je suis conscient de l’évolution des mœurs. Je travaille donc ! Que mes ancêtres me pardonnent ! Je rappelle que le Baron Martin de la Martinière, mon ancêtre, se distingua aux côtés du roi François à Marignan. »
« En effet, il n’était pas chargé d’études juridiques aux assurances Assurbien . »
« Vous devriez faire valoir votre titre de noblesse auprès du directeur général. Il vous considèrerait avec beaucoup plus d’égards ! »
« J’ai essayé, mais il m’a répondu qu’il était la reine d’Angleterre, ce qui est complètement faux. »
« Et à la cantine, il parait qu’on vous a manqué de respect ! »
« En effet, il n’y a aucun domestique pour me servir à table ! Je suis obligé de le faire moi-même. Les gens n’attendent même pas que je commence le repas pour se jeter sur leur assiette comme des goinfres. C’est tout juste si je ne dois pas faire la vaisselle ! »
« En effet, quelle indignité ! Et pour vos courses ? »
« Ne m’en parlez pas, mon pauvre. Le directeur ne veut même pas privatiser son magasin pour m’éviter d’être importuné par le peuple. Je dois faire la queue aux caisses derrière des manants. Vous vous rendez compte ? »
« Je suis horrifié ! Il parait que vous vous déplacez en diligence ! »
« J’ai un mal fou. Autrefois, on s’écartait à mon passage. Mais aujourd’hui, je subis tous les embouteillages de la matinée et de la soirée. Mes chevaux n’en peuvent plus. »
« Votre fille va se marier. Vous prévoyez un grand mariage ? »
« Non, nous allons être discrets. Elle a choisi un jeune godelureau sans le moindre quartier de noblesse. Il est vaguement employé aux postes du Roi. La baronne et moi-même avons tout fait pour la dissuader. »
« Je parie qu’elle l’a mal pris. »
« Oui, très mal. Elle a dit que l’amour est plus fort que tout. Il parait même que c’est plus important que la pureté du sang de la famille. On croit rêver ! »
« Et pour vos obsèques ? »
« Là, j’ai vu les choses en grand. J’ai laissé mes dernières volontés à madame la Comtesse Dubalai, notre concierge, descendante du Comte Coup de Balai, qui conseilla le Roi Louis dans le choix de ses dames de compagnie. »