Liberté d’expression

« Je vais faire une annonce ! »

« Pourquoi annoncez-vous que vous allez faire une annonce ? »

« Pour attirer l’attention sur ce que j’ai à dire ! »

« Vous avez raison. On a tous quelque chose à dire au reste du monde et je trouve qu’on ne prête pas assez d’attention à ce que chacun a envie de dire. »

« Oui, on devrait pouvoir dire ce qu’on veut dire, même si ça n’intéresse personne. En gros, ça s’appelle la liberté d’expression. »

« Moi, j’ai envie de dire que je ne sais pas quoi dire. »

« C’est déjà une avancée. Le problème, c’est que le langage est limité, chaque fois qu’on dit quelque chose, il y a de grandes chances pour que cela ait été dit par quelqu’un d’autre. »

« Ce n’est pas parce que quelqu’un a dit ce que je veux dire que ça devrait m’interdire de le dire ! Il y a mille manières de dire : il fait beau aujourd’hui. »

« Vous avez raison : s’il faut toujours dire quelque chose d’original, on ne va pas se dire grand-chose. Les journées vont être longues. »

« C’est de là que proviennent les problèmes d’incommunicabilité entre les hommes : la peur de dire toujours la même chose et de passer pour un vieux ringard. »

« C’est vrai qu’en général, je préfère la fermer plutôt que de dire : il fait beau aujourd’hui. Mais ça pose un autre problème : si je ne dis rien, Thérèse en déduit que je fais la gueule. »

« De là, la nécessité de savoir dire n’importe quoi. Pas trop souvent, mais quand même un petit peu, ça peut arranger les choses dans les couples et au bureau. »

« On devrait avoir un crédit quotidien de n’importe quoi. Chaque jour, chacun de nous aurait droit à une heure pour dire les conneries qui lui passent par la tête. »

« Oui, mais certains gourmands sont capables de dépasser leur crédit. Il faudrait prévoir des sanctions pour éviter les abus. »

« Euh… il y a un petit problème : qui va juger que ce que je dis c’est n’importe quoi ? »

« Moi ! Si je pense que vous dites n’importe quoi, j’aurais le droit de porter plainte et le Tribunal sera là pour trancher. »

« Voilà qui va encore encombrer la Justice ! Et puis comment sauriez-vous que j’ai dépassé mon quota de n’importe quoi ? »

« Nous pourrions penser à un boitier électronique que vous porteriez en sautoir et qui afficherait le nombre de conneries que vous avez sorties depuis le début de la journée. »

« Pourquoi pas ? Après tout, il existe bien des trucs qui comptabilisent mon nombre de pas quotidiens. Les coréens devraient nous inventer un compte-conneries. »

« Ce serait bien. Comme ça, ça m’éviterait de vous parler si vous avez dépassé votre contingent journalier. Cela vous rendrait service. »

« Il faudrait prévoir un crédit exceptionnel pour ceux qui arrivent à dire des choses complètement idiotes, mais qui peuvent être géniales. De la sérendipité verbale en quelque sorte. »

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