Les fiancés
31 mai, 2021« Monsieur, vous êtes très plaisant. »
« Mademoiselle, vous êtes également très plaisante. »
« Nous nous plaisons physiquement, mais il resterait à savoir si nos tempéraments s’accordent. »
« En effet, je ne veux pas avoir affaire à un caractère acariâtre qui viendrait à me chercher querelle à tout propos. »
« Je ne suis pas de cette eau-là, monsieur. Je ne querelle que pour des affaires sérieuses. De mon côté, je ne veux pas d’un tempérament sans manières qui ne respecterait pas ma condition qui, pour être féminine, n’en est pas pleine de désirs et de fermeté. »
« J’entends, mademoiselle. Sachez qu’il n’est pas de mon habitude d’imposer à une femme honnête des volontés qui viendraient à la fâcher vigoureusement. »
« Bien entendu, notre ménage disposera de domestiques : dix me semble être le moins que nous puissions avoir. Je veux choisir moi-même ma chambrière et sa remplaçante en cas d’indisposition. »
« En effet, une bonne domesticité s’impose. Je pense moi-même avoir deux palefreniers, un garçon d’écurie, et un cocher. Sachons rester modestes vis-à-vis de nos fermiers dont la plupart vivent encore chichement. »
« Justement, je tiens à ce qu’il fasse bon vivre sur notre domaine. Je devrais donc visiter le peuple de temps à autre, encadrée par deux hommes à forte carrure. »
« Cela n’est pas très prudent. Vous risquez de rencontrer des jeunes gens un peu désemparés par la hausse des fermages, rendue nécessaires par nos frais de représentation. »
« En effet, monsieur, notre rang doit être tenu. Nous donnerons de nombreux bals, dont un masqué, ce qui est follement amusant. »
« Sachons toutefois cultiver une certaine frugalité. Le père Goulard, le confesseur traditionnel de notre famille y tient rigoureusement. »
« Je veux un confesseur personnel. L’austérité légendaire de l’abbé Goulard ne me convient pas tellement, monsieur. Le père Louis me satisfait, il comprend mieux mon nécessaire besoin de mener une vie gaie et joyeuse. »
« Tous les dimanches après la messe, nous rendrons visite à ma mère. Elle tient à l’entretien des liens filiaux. »
« Monsieur, votre mère est un tempérament qui me glace, votre père me lance des regards peu convenables et votre sœur, qui est proche de prendre le voile, est profondément ennuyeuse. »
« Mademoiselle, je sens des réticences de votre part à la construction d’une vie familiale harmonieuse. J’en suis profondément affecté. »
« Monsieur, l’harmonie réside dans l’équilibre des droits et devoirs des membres du couple. Je ne vous ai pas encore dit que j’envisage de prendre des amants que vous provoquerez bien entendu en duel. Ce sera follement romantique. »
« Madame, je crains que nos vues ne concordent pas. J’en suis mortifié. Ma cousine Gisèle de la Bellejambière me semble envisager une union plus conforme à la tradition de ma famille. »
« Oui, mais enfin, elle est moche. »