Leçon de vocabulaire sonore
14 février, 2021« Avez-vous remarqué, élève, que certains mots font naître des sensations physiques rien qu’en les prononçant ? »
« Par exemple, maître ? »
« Quand je dis ‘délice’, je sens une coulée de miel sur ma langue. Si je dis que c’est un ravissement, ça me fait beaucoup moins d’effet. »
« C’est vrai, quand je dis ‘glougloutement’, je suis inquiet. J’ai toujours l’impression qu’il y a une fuite d’eau quelque part dans ma maison. »
« Et quand je dis ouate, j’ai déjà la sensation du coton entre les doigts. »
« En fait, la seule sonorité d’un mot peut délivrer son sens. Si je dis que vous « gargouillez », vous voyez tout de suite de quoi il s’agit : il est peut-être temps de passer à table ! »
« Il y a pire. Les sensations peuvent naître à partir de la terminaison des mots. Par exemple, la terminaison ‘asse’ exprime la mauvaise qualité qui entraine un désagrément physique : la vinasse, c’est du mauvais vin par exemple ou la paperasse, ce sont des papiers sans intérêt. »
« Cela est vrai quand la fin du mot a été rajoutée à un mot existant, mais ‘chasse’ par exemple n’exprime rien d’autre que chasse. »
« Oui, mais quand même… la terminaison ‘asse’ est terrible. Elle permet décrire des gens pour lesquels, on n’a pas beaucoup de considération. Une « blondasse » par exemple, c’est une femme dont la chevelure est d’une couleur pas très nette. On a l’air de trouver que ça tire sur le blond, mais on rajoute ‘asse’ pour bien faire sentir que ce n’est pas très joli. »
« Et quand je dis mélasse, j’ai vraiment l’impression de patauger dans un liquide collant. »
« Notez que je ne vous ai pas parlé de l’effet que produit le mot « poufiasse » ! Quelle horreur ! »
« Vous en avez d’autres comme ça, maître ? »
« Oui, la répétition de certaines syllabes dans des mots peut provoquer un effet saisissant. Si je dis que je vous « chouchoute », on comprend qu’il y a un vrai rapprochement physique entre nous, ce qui n’est pas le cas, évidemment. »
« C’est surtout vrai quand des lettres se répètent dans le mot. Par exemple, si je dis que je tâtonne, on a bien l’impression d’un être hésitant. Et si je dis que vous murmurez, je vous fais sentir le bruit indistinct que j’entends quand vous me parlez. »
« Oui et si vous me dites que vous dardez votre regard sur moi. La répétition du « d » est effrayante, j’ai peur. Vous pourriez vous contenter de jeter un regard. Et si vous me palpez, je sens déjà le contact de vos grosses mains sur moi avant que vous ne les posiez. »
« Il faut quand même se méfier, certaines sonorités évoque des sens contraires à celui du mot. « pléthore », par exemple évoque la carence ou l’insuffisance (je ne sais pas trop pourquoi), alors que cela signifie « excès ». »
« C’est curieux, il y a aussi des mots qui ont une belle sonorité, mais qui ne m’évoquent rien du tout. Comme rhododendron, c’est beau, mais je ne sens rien. »
« Il y a aussi des mots à la sonorité faible et c’est bien dommage. Par exemple, le terme « insigne » qui ne m’évoque rien du tout, alors que ce mot qualifie quelqu’un ou quelque chose de particulièrement remarquable. »