Pas de panique, on va s’en tirer quand même…
2 février, 2021« Moi, monsieur, depuis que je suis sur terre, c’est conflit, conflit et… quand c’est fini : conflit ! »
« Conflit avec qui, mon bon ? »
« Les parents, les religieux, les profs, les patrons, les collègues de travail, mes voisins… bref ! Avec tous ceux qui ont bridé ma liberté sous prétexte de m’apprendre à vivre ou bien qui ont voulu la même chose que moi. »
« Vous exagérez mon bon. Il a certainement eu des moments agréables. »
« Peut-être, mais ça a été comme un désert brulant d’où émergeaient de temps en temps quelques oasis de verdure rafraichissante. Autant dire que c’est rare. »
« Et alors ? La vie est un combat, ce n’est pas nouveau. »
« Oui, mais le combat, ça use. Il ne faut pas s’étonner si j’ai des ennuis de santé. »
« Bon, comment on s’en tire ? »
« La plupart des gens s’en tirent en tentant d’oublier le combat. Leur solution, c’est de s’abêtir devant la télé ou le journal. »
« Quand même, il a sûrement quelques moments agréables dans votre vie ! »
« Oui, l’été – après un bon repas –quand je m’endors doucement dans mon hamac alors que la brise tiède bruisse dans les peupliers qui bordent la rivière, tandis que les enfants s’ébattent joyeusement au loin. »
« C’est tout ? »
« Ce n’est déjà pas si mal que ça. »
« Si je comprends bien, vous êtes heureux quand vous dormez. Autrement dit quand vous fermez les yeux sur toutes les contraintes matérielles de la vie collective. »
« Oui, ça vous plait vous de vous faire écraser les pieds dans le métro tous les matins. Ou bien de patienter devant le péage d’autoroute. Ou bien d’attendre trois mois un rendez-vous chez un spécialiste. Ou encore de faire la queue au supermarché. »
« Certes, il y a des désagréments. Mais quand votre équipe favorite gagne, vous êtes heureux, au coude-à-coude avec les autres supporters dans les travées du stade. »
« En fait, la vie collective serait supportable si elle se déroulait comme dans un feuilleton policier américain. On saurait très clairement qui sont les bons et qui sont les méchants, et on serait tous d’accord pour que les bons gagnent contre les méchants. »
« C’est un peu simpliste. »
« Je ne vous le fais pas dire. Mais c’est comme ça. La plupart des gens, bien aidés par les médias, passent leur temps à chercher des histoires simplistes. Par exemple : les pollueurs sont les méchants et moi, un gentil, je déteste les pollueurs. Le fait que je pollue n’a pas à rentrer dans ce raisonnement. »
« Et ça vous rend heureux ? »
« Non. C’est encore un conflit. Le problème que posent les conflits, c’est de se trouver du côté des vainqueurs. Ça vous permet de continuer à avancer jusqu’au prochain conflit. Et peut-être, un jour, de vous reposer dans une oasis de verdure.»