Archive pour octobre, 2020
Petit à petit
8 octobre, 2020« Qu’est-ce que c’est que ça ? »
« Des plaquettes de frein. »
« Tu as acheté des plaquettes de frein alors que tu n’as pas de voiture ! »
« Oui, comme ça, je ne risque pas de les user. Et puis c’est un début. La semaine prochaine, j’achète les bougies. Quand j’ai tout, je monte la voiture. »
« Et on peut savoir pourquoi tu as une fenêtre avec des volets, alors que tu habites au dixième étage. C’est curieux. »
« Non, j’aime bien me mettre à ma fenêtre et ouvrir les volets le matin pour admirer mon salon. Parfois je change, j’ouvre sur ma salle de bains. C’est le début de ma maison. »
« Et cette bouteille d’eau. Ne me dites pas que c’est un morceau d’Atlantique. »
« Si c’est Josiane qui me l’a rapporté de Biarritz, elle n’a pas pu me capturer une mouette. »
« Je peux vous faire le cri de la mouette, vous l’enregistrer et vous passer la journée devant votre bouteille d’eau. Qu’est-ce que vous en pensez ? »
« Ce serait un début de vacances, mais j’irai à l’océan quand j’aurai fini ma voiture. »
« Je vois que vous avez aussi une porte de placard. Vous le montez petit à petit ? »
« Oui, ce sera un vrai meuble d’époque. Enfin, de la mienne. Vous voulez peut-être vous asseoir. Pour le moment, je peux vous proposer un dossier de chaise. »
« Et pour la télé, vous avez l’antenne. Cela doit être difficile de regarder un match sur l’antenne. »
« Ce n’est pas grave : le lendemain j’achète mon quotidien pour avoir le résultat. »
« Ah ! Vous achetez une chose entière ? »
« Non ! Uniquement la page des sports. En fait, je la loue pour la journée au buraliste. Il est très compréhensif. Il dit qu’il n’a jamais vu ça. »
« Effectivement, c’est curieux. Remarquez que ma femme loue ses robes de soirée et moi je loue mes smokings quand je sors. »
« Moi, je sors en jean et je loue le nœud papillon, ça me vaut une très grande popularité dans tous les salons de la ville. »
« Bon ! Et part ça ! Votre job, ça va ? »
« Oui, je suis chanteur de cabaret. Mais je ne chante qu’une chanson pour ne pas casser les oreilles aux gens qui préfèrent se taper la cloche tranquillement. »
« Ah ! Vous connaissez une chanson en entier ? »
« Non, que le premier couplet. Les bons soirs, il y a un rappel, donc je le chante deux fois. Les gens adorent ! »
« Et là, je vois que vous avez acheté une robe ? »
« Oui, c’est Thérèse, un début de femme. Bientôt, je mettrais une femme dans la robe, dès que j’aurais acheté les souliers qui vont avec. »
L’histoire de Paul, le policier polonais
7 octobre, 2020Economie politique : le marché
6 octobre, 2020« C’est comme ça : le monde est un vaste marché où tout s’achète et tout se vend. »
« Vous exagérez, maître ! »
« Pas du tout ! Vous pouvez même vendre votre âme au diable, si ça vous arrange. Mais méfiez-vous, c’est un fin négociateur. »
« Et ma bonne humeur légendaire, vous croyez pouvoir l’acheter ? A la rigueur, vous pourriez essayer de l’imiter, mais ça s’appellera de la contrefaçon. »
« Vous pouvez même vous payer un peu d’intelligence en payant très cher une place dans un stage de développement personnel. »
« Vous estimez que je suis en manque d’intelligence ? »
« Non ! C’était un exemple. Si vous préférez, vous pouvez vous payer une compagne féminine ou un compagnon masculin, si vous voyez ce que je veux dire… »
« Je préfère ne pas voir, ce n’est pas mon genre. Je suis sûr qu’on peut encore trouver des choses qui ne sont pas échangeables. Par exemple, un beau coucher de soleil, c’est disponible pour tout le monde. Même les plus miséreux. »
« Bon d’accord, encore faut-il louer un bel emplacement pour l’admirer. »
« Et l’air que nous respirons, il est disponible pour tout le monde. »
« Ben… non ! Si vous n’avez pas de sous, vous allez habiter sur le bord de l’autoroute pour respirer surtout la pollution émise par les voitures. »
« Et les émissions à la télé ? Une fois que vous avez payé votre téléviseur, les programmes sont des prestations gratuites. »
« Oui, mais ce sont des émissions bas de gamme. C’est comme à la fin du marché, il reste des fruits et des légumes non vendus disponibles pour les pauvres. En fait, ce sont des produits marchandisables comme les autres, mais dont la valeur est égale à zéro ! »
« Si je comprends bien, d’après vous, tout passe sur le marché avec une valeur éventuellement nulle ? Et mon amour pour Josiane, vous en faites quoi ? »
« Vous avez raison. C’est l’exception, mais ça ne dure pas, le marché se rattrape vite. Si l’échange des affections n’est pas bilatéral, il y en a un qui le paie cher. Et de toute façon, après trois ou quatre ans, le marché vire l’aspect fusionnel du mariage pour le remplacer par une sorte de contrat associatif que vous devez accepter (ou pas) moyennant un coût… »
« Et le coût c’est quoi ? »
« La routine, le poids de l’habitude… Eventuellement le coût d’un divorce. En fait, chaque fois que vous avez un choix à faire, vous comparez les solutions, et pour les comparer, vous êtes obligé d’attribuer une valeur à chacune d’entre elles. C’est le début de la mercantilisation … »
« N’y a-t-il donc pas de solutions à cette triste perspective, maître ? »
« Non, même sur une ile déserte, vous seriez obligé de faire des choix ou d’attribuer des priorités. Par exemple, pêcher pour manger aura plus de valeur que construire un abri. »
« Bon, je crois que j’ai la solution. Payez-moi un verre, ça m’évitera de me le payer. »
Le hérisson d’Aubusson
5 octobre, 2020Détestations
4 octobre, 2020« Je vous déteste. »
« Et vous me dites ça comme ça. Sans vergogne ? Et on peut savoir pourquoi ? »
« Non. Je ne le sais pas moi-même. C’est une sorte de mauvais feeling qui passe entre nous. Chaque fois que je vous vois une sorte de haut-le-cœur me saisit…. Ça a l’air de vous faire plaisir ?»
« Oui, parce que figurez vous que j’ai des nausées chaque fois que vous entrez dans mon champ de vision. C’est très pénible. »
« Super ! On va pouvoir en parler tranquillement. Je vous offre un verre ?»
« Volontiers !…. Alors comme ça, la vue de ma personne vous vrille l’estomac. J’en suis désolé. Je connais d’excellents médicaments pour vous soigner. »
« C’est sympa de votre part. Quant à moi, je peux vous concocter des tisanes anti-nausée inventées par ma grand-mère qui s’y connaissait. »
« Pour bien faire, je vais essayer de vous voir après la digestion à partir de 16 heures. Un peu avant votre goûter de l’après-midi. »
« Oui, c’est un bon créneau. On pourrait aussi éviter de se regarder quand on se croise dans le couloir. Munissons-nous de clochettes pour signaler notre passage. »
« C’est une bonne idée. De mon côté, je pense qu’il faudrait établir un tour de présence, pour ne pas se trouver ensemble à la cantine. Il ne faudrait pas que nous nous coupions l’appétit réciproquement. »
« J’ai une autre idée : portons un masque pour ne pas nous reconnaître. »
« Je veux bien, mais ça va commencer à faire beaucoup de masques. »
« Pour commencer, je vais prendre une autre mesure radicale. Je vais découper la photo officielle de l’entreprise pour éjecter votre visage. Je vous conseille la réciproque. »
« Entendu. Mais j’y pense ! Nous risquons de nous retrouver sur le trottoir au moment de la pause cigarettes, auquel cas notre rencontre pourrait dégénérer en combat de rue. »
« Vous avez raison, je n’ai pas envie de raconter aux flics que je vous déteste. Ils chercheront sûrement à savoir pourquoi. »
« Si ça peut vous soulager, je vous déteste, mais je hais encore plus Dugenou ! »
« Moi aussi ! Voilà qui nous fait un dégoût commun. »
« Le plus difficile, ça va être d’éviter de nous croiser tous les trois. Il faudra payer une clochette à Dugenou. »
« Pour la cantine, ça va devenir compliqué. Il faut créer une case horaire pour chacun de façon à conserver un peu d’appétit. »
« Moi, je veux bien, mais au train où ça va, je vais déjeuner à 17 heures parce que je déteste beaucoup de monde dans cette entreprise. »
« Comme ça se trouve ! Moi aussi, je déteste tout le monde ! Nous pourrions fonder une sorte d’association pour échanger sur nos détestations. »
« A condition de ne pas se détester ! »
Le moraliste aime la mortadelle
3 octobre, 2020La radasse et le bidasse
2 octobre, 2020Un poète
1 octobre, 2020« C’est comme ça : je suis poète. »
« Ah ! C’est vous qui avez écrit :
Il est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume,
« Non, ça c’est de Beaudelaire ! »
« C’est dommage, parce que c’est plutôt beau ! Vous gagnez votre vie en étant poète ? »
« Non sûrement pas. Un poète qui gagne beaucoup d’argent avec ses vers n’est plus un poète. C’est un fonctionnaire. »
« Alors, vous séduisez les femmes en leur récitant vos doux poèmes. »
« Non, ça ne marche plus non plus. Josiane m’a dit qu’il fallait que j’arrête de l’embêter avec ça, parce qu’elle n’y comprenait rien. »
« Bon, alors quel est intérêt de versifier ? »
« Ah, nous y voilà ! Figurez-vous que faire danser la musique des mots et valser les images c’est un enchantement pour les amoureux de la langue. »
« Et ça ne vous dérange pas que personne ne vous lise ? »
« Si un peu, je suis obligé de déclamer sur la place publique, mais la dernière fois les flics m’ont entraîné en cellule de dégrisement. »
« C’est vrai qu’il n’y a plus beaucoup d’émission de poésie à la télé ! »
« Si, si ! Une chaine du Turkmanistan en a créé une à 2 heures du matin. Il suffit d’attraper la télévision du Turkmanistan. »
« Enfin bref, comment supportez-vous votre situation de marginal ? »
« Je me donne le genre poète maudit. Je me laisse pousser les cheveux, je mets un manteau pourri, une écharpe rouge et je passe mon temps dans l’arrière-salle de mon bistrot préféré en détestant le Terre entière. Et je bois des cafés. »
« Vous pourriez passer à Pôle Emploi de temps en temps pour trouver un job. »
« Vous plaisantez ? Comment voulez-vous que j’écrive des vers en servant des frites ou des burgers dans un Mac Do ? »
« Vous pensez que vos œuvres vont passer à la postérité. »
« Ce serait bien. Après tout, moi je me suis coltiner Ronsard et Du Bellay. J’imagine les futurs écoliers apprendre mes poèmes le soir à la veillée familiale. »
« Je vous signale qu’à cette heure-là, ils sont plutôt occupés à envoyer des SMS à leurs copains et copines sous leurs couvertures. »
« Ah bon ? »