Archive pour le 20 octobre, 2020

Le navrant destin de l’optimiste

20 octobre, 2020

« Allez hop ! Au bloc ! »

« Qu’est-ce que j’ai fait, monsieur le policier ? »

« Vous musardez. Vous flânez. Vous vous baladez en regardant les vitrines en ayant l’air content de vous et de la situation. » 

« Et alors, c’est interdit ? »

« Oui, c’est très suspect. Vu la situation sanitaire et économique du pays vous devriez vous empresser de regagner votre logis, en prenant l’air très inquiet. »

« Mais il n’y a pas encore de confinement. »

« Si un décret vient de tomber. Pour les gens qui ont l’air ravis dans la rue, c’est confinement obligatoire à partir de midi, et il est midi deux. »

« Mais comment savez-vous que j’ai l’air content puisque j’ai le masque. »

« Vous avez une lueur amusée dans les yeux. A moi, on ne la fait pas. Je suis très entrainé. »

« Comment dois-je faire pour sembler être triste ? »

« Il ne s’agit pas d’être triste, il s’agit d’être préoccupé. Froncez les sourcils. Marchez en baissant la tête. Voutez les épaules. »

« Comme ça ? »

« Oui, si vous pouviez murmurer des phrases amères du genre : mon Dieu, mon Dieu comment on va s’en sortir, ce serait encore mieux. »

« Mais pourquoi faut-il systématiquement faire preuve de pessimisme ? »

« L’économie nationale n’a pas besoin de gens optimistes. Les optimistes ont tendance à réfléchir à leur sort et à devenir revendicatifs. »

« C’est vrai qu’au-delà de la situation sanitaire, nous subissons une forte crise économique. »

« Exact, mais il ne faut pas le dire. Vous ne devez gémir sur votre propre sort. Souffrez en silence. Marchez en courbant encore plus le dos sous le poids des soucis. »

« Je vais avoir le menton qui touche le trottoir. »

« Comment ? Vous aggravez votre cas en faisant le malin alors que l’autorité publique tente de vous remettre dans le droit chemin ? » 

« Je vous ferais remarquer que si tout le monde était optimiste, ça pourrait aider au relèvement de l’économie. Je vous signale que le nombre de pauvres augmente. »

« Vous ne comprenez rien. L’inquiétude doit gagner les foules de manière à limiter les revendications. Si vous craignez de ne pas survivre, vous n’allez pas embêter le monde pour quelques euros de plus à la fin du mois. »

« Il va falloir que j’organise l’inquiétude de ma femme de ménage. »

« Vous êtes armé ? »

« Non. C’est grave ? »

« Oui, ça montre bien que vous n’êtes pas assez angoissé par la situation. Une crise sanitaire, une crise économique… Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? »