Détestations
4 octobre, 2020« Je vous déteste. »
« Et vous me dites ça comme ça. Sans vergogne ? Et on peut savoir pourquoi ? »
« Non. Je ne le sais pas moi-même. C’est une sorte de mauvais feeling qui passe entre nous. Chaque fois que je vous vois une sorte de haut-le-cœur me saisit…. Ça a l’air de vous faire plaisir ?»
« Oui, parce que figurez vous que j’ai des nausées chaque fois que vous entrez dans mon champ de vision. C’est très pénible. »
« Super ! On va pouvoir en parler tranquillement. Je vous offre un verre ?»
« Volontiers !…. Alors comme ça, la vue de ma personne vous vrille l’estomac. J’en suis désolé. Je connais d’excellents médicaments pour vous soigner. »
« C’est sympa de votre part. Quant à moi, je peux vous concocter des tisanes anti-nausée inventées par ma grand-mère qui s’y connaissait. »
« Pour bien faire, je vais essayer de vous voir après la digestion à partir de 16 heures. Un peu avant votre goûter de l’après-midi. »
« Oui, c’est un bon créneau. On pourrait aussi éviter de se regarder quand on se croise dans le couloir. Munissons-nous de clochettes pour signaler notre passage. »
« C’est une bonne idée. De mon côté, je pense qu’il faudrait établir un tour de présence, pour ne pas se trouver ensemble à la cantine. Il ne faudrait pas que nous nous coupions l’appétit réciproquement. »
« J’ai une autre idée : portons un masque pour ne pas nous reconnaître. »
« Je veux bien, mais ça va commencer à faire beaucoup de masques. »
« Pour commencer, je vais prendre une autre mesure radicale. Je vais découper la photo officielle de l’entreprise pour éjecter votre visage. Je vous conseille la réciproque. »
« Entendu. Mais j’y pense ! Nous risquons de nous retrouver sur le trottoir au moment de la pause cigarettes, auquel cas notre rencontre pourrait dégénérer en combat de rue. »
« Vous avez raison, je n’ai pas envie de raconter aux flics que je vous déteste. Ils chercheront sûrement à savoir pourquoi. »
« Si ça peut vous soulager, je vous déteste, mais je hais encore plus Dugenou ! »
« Moi aussi ! Voilà qui nous fait un dégoût commun. »
« Le plus difficile, ça va être d’éviter de nous croiser tous les trois. Il faudra payer une clochette à Dugenou. »
« Pour la cantine, ça va devenir compliqué. Il faut créer une case horaire pour chacun de façon à conserver un peu d’appétit. »
« Moi, je veux bien, mais au train où ça va, je vais déjeuner à 17 heures parce que je déteste beaucoup de monde dans cette entreprise. »
« Comme ça se trouve ! Moi aussi, je déteste tout le monde ! Nous pourrions fonder une sorte d’association pour échanger sur nos détestations. »
« A condition de ne pas se détester ! »