Archive pour le 1 octobre, 2020

Un poète

1 octobre, 2020

« C’est comme ça : je suis poète. »

« Ah ! C’est vous qui avez écrit :

Il est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume,

« Non, ça c’est de Beaudelaire ! »

« C’est dommage, parce que c’est plutôt beau ! Vous gagnez votre vie en étant poète ? »

« Non sûrement pas. Un poète qui gagne beaucoup d’argent avec ses vers n’est plus un poète. C’est un fonctionnaire. »

« Alors, vous séduisez les femmes en leur récitant vos doux poèmes. »

« Non, ça ne marche plus non plus. Josiane m’a dit qu’il fallait que j’arrête de l’embêter avec ça, parce qu’elle n’y comprenait rien. »

« Bon, alors quel est intérêt de versifier ? »

« Ah, nous y voilà ! Figurez-vous que faire danser la musique des mots et valser les images c’est un enchantement pour les amoureux de la langue. »

« Et ça ne vous dérange pas que personne ne vous lise ? »

« Si un peu, je suis obligé de déclamer sur la place publique, mais la dernière fois les flics m’ont entraîné en cellule de dégrisement. »

« C’est vrai qu’il n’y a plus beaucoup d’émission de poésie à la télé ! »

« Si, si ! Une chaine du Turkmanistan en a créé une à 2 heures du matin. Il suffit d’attraper la télévision du Turkmanistan. »

« Enfin bref, comment supportez-vous votre situation de marginal ? »

« Je me donne le genre poète maudit. Je me laisse pousser les cheveux, je mets un manteau pourri, une écharpe rouge et je passe mon temps dans l’arrière-salle de mon bistrot préféré en détestant le Terre entière. Et je bois des cafés. »

« Vous pourriez passer à Pôle Emploi de temps en temps pour trouver un job. »

« Vous plaisantez ? Comment voulez-vous que j’écrive des vers en servant des frites ou des burgers dans un Mac Do ? »

« Vous pensez que vos œuvres vont passer à la postérité. »

« Ce serait bien. Après tout, moi je me suis coltiner Ronsard et Du Bellay. J’imagine les futurs écoliers apprendre mes poèmes le soir à la veillée familiale. »

« Je vous signale qu’à cette heure-là, ils sont plutôt occupés à envoyer des SMS à leurs copains et copines sous leurs couvertures. »

« Ah bon ? »