Archive pour le 20 septembre, 2020

Exister

20 septembre, 2020

« Vous êtes ? »

« Maurice Dugenou, pour vous servir ! »

« Non, quand je disais que vous êtes, je voulais dire que vous existez. »

« Oui, je suis toujours vivant, si c’est ça votre problème. »

« Non, vous confondez encore vivre et exister. Exister, ça consiste non seulement à vivre, mais aussi à avoir des projets, des envies, des idées … Vous voyez ce que je veux dire ? »

« Bon d’accord, moi j’ai le projet d’avoir un abri et de manger à ma faim. »

« Non, ça c’est survivre. Pour exister, il faut plus. Il faut avoir une activité qui vous donne envie de vous lever chaque matin. »

« Ben moi, je vais au bureau du chômage. Donc je me lève, je prends un café quand y en a, je mets mes chaussures et je vais au bureau du chômage. Quand je dis je me lève, c’est sans envie de tout ce qui va suivre dans ma journée. Alors, j’existe là ? »

« Euh… non pas vraiment, disons que vous vivez une situation difficile. On pourrait dire que vous subsistez. Mais vous êtes titulaire d’un toit, c’est déjà quelque chose. »

« Si je comprends bien, il y a plusieurs niveaux, les titulaires d’une fortune qui peuvent se payer le luxe d’exister, les titulaires de ce qu’il faut qui vivent, les titulaires d’un toit et du Rsa qui subsistent, et les titulaires du néant qui survivent. »

« C’est une façon curieuse de présenter les choses, mais c’est à peu près ça. Pour ne pas créer une hiérarchie sociale inutile, je vous propose d’utiliser le même verbe pour tout le monde : être. »

« Donc, nous sommes tous égaux pour la bonne raison que nous sommes ! »

« Oui, c’est plus sympa. Descartes disait : je pense, donc je suis. Il doutait de tout, donc il pensait, donc il affirmait son existence. Comme lui, votre existence est irréfutable. Je dirai indéniable. »

« C’est vrai, je vous remercie, mais j’aimerais bien être un peu plus qu’un individu qui est. Je ne suis pas qu’un objet pensant ! »

« C’est vrai, mais ce n’est déjà pas si mal que ça. Quand vous êtes viré de votre boulot, quand votre compagne vous largue, pensez que vous êtes encore quelqu’un, ça peut vous aider. »

« J’aurais préféré ne rien perdre si ça ne vous dérange pas. »

« Malheureusement le système est fait de telle sorte qu’il y a des gagnants et des perdants. Remarquez qu’en tant que perdant, vous avez une utilité puisque sans perdant pas de gagnant ! Il est donc très utile que vous soyez ! »

« Vous noyez le poisson, mon vieux. Le problème c’est que tout le monde existe, mais dans des conditions plus ou moins confortables ! »

« Ah ! Revoilà l’inégalité sociale !!  Vous voulez mon gilet jaune ?»

« Non merci, j’ai ce qu’il faut ! »

« Figurez-vous que je suis d’accord avec vous. Nous sommes tous des êtres vivants, mais ce n’est pas ce qui nous assure une vie juste. »