Archive pour le 13 septembre, 2020

Le marché de l’ennui

13 septembre, 2020

« C’est assez ! Il y a des moments où il faut savoir dire : c’est assez ! On n’arrête et on passe à autre chose ! »

« Par exemple, maître ? »

« Par exemple, si je ne fais pas de sport, je grossis, je me sens mal… Eh bien, il y a un moment où je dois dire : assez ! Je me prends en main et je me remue ! »

« Il n’y a rien de plus difficile que de changer de vie. L’habitude tranquillise. Le changement perturbe ! »

« Il faut un travail sur soi-même. C’est quelque chose qu’on apprend nulle part. La facilité, c’est de porter un jugement sur les autres ; d’attribuer à autrui tout ce qui ne va pas chez vous ! »

« Certainement, maître, mais moi j’aime bien le bœuf aux carottes de ma mère, et je n’ai aucune envie de lui dire : c’est assez ! »

« Les plats mijotés de maman ne mettent pas en cause votre personnalité. Encore que vous pourriez avoir le bon sens de goûter d’autres bœufs aux carottes. En réalité, le fait de ne pas savoir changer sa vie relève d’une grande paresse intellectuelle. »

« Petite question maître : à quoi ça sert de changer de vie ? »

« D’abord, ça peut améliorer votre santé si vous picolez ou si vous manger n’importe comment. Ensuite, ça peut vous ouvrir l’esprit. Par exemple, si vous ne lisez rien d’autre que votre hebdomadaire de télé et que vous décidiez d’un seul coup de lire des romans, vous prenez le risque de devenir plus intelligent ou plus sensible aux émotions d’autrui. »

« Comment saurai-je que j’ai besoin de changer de vie ? »

« Il faut savoir se regarder sans indulgence. Si vous ressentez une certaine lassitude, un certain spleen en vous levant, ou si vous passez votre temps dans un fauteuil devant la télé, c’est qu’il faut changer quelque chose ! Mettez-vous au yoga ou faites la cuisine au lieu de bouffer des plats cuisinés. »

« J’en déduis que la révolte contre l’ennui, c’est le déclencheur essentiel d’un changement, encore ne faut-il pas se laisser déborder par l’ennui. »

« La difficulté, c’est précisément qu’aujourd’hui tout est fait pour vous ennuyer, que ce soient les programmes de télé ou votre vie au bureau, assis huit heures par jour devant une colonie d’ordinateurs. »

« Il y a une politique de lutte contre le chômage, il devrait y avoir une politique de lutte contre l’ennui. Il y aurait des Pôles Ennui où les gens noyés par la lassitude due aux habitudes du quotidien viendraient chercher des raisons de se révolter. »

« On pourrait imaginer des statistiques et une courbe de l’ennui national ! Et puis, pendant qu’on y est un ministre du goût de vivre ! »

« Euh… encore un qui ne ferait rien. »

« Si, il existerait. Ce serait comme un symbole. Un symbole, ça coûte cher, mais c’est utile. »

« Je crains qu’on retombe encore sur des questions d’argent. Si vous avez envie de quitter la ville pour devenir agriculteur, il faut une mise de fond. Si vous voulez vous mettre à l’équitation, c’est pareil »

« Si je comprends bien, il y a un marché de l’ennui. Les pauvres doivent continuer à s’ennuyer. »