Archive pour juin, 2020

Chaleur humaine

18 juin, 2020

« Le bistrot, c’est comme à l’église : c’est là où il reste encore de la chaleur humaine. »

« Quand je pense au nombre d’endroits où il faut dire des choses convenues, intelligentes et cohérentes, ça fait du bien de faire un tour au bistrot. »

« C’est vrai que personne ne juge personne. Au comptoir, on est tous égaux au coude à coude dans la joie et la bonne humeur. »

« Si on préfère, on va dans l’arrière-salle pour traiter des affaires d’argent ou d’amour. On a le choix. »

« Oui, on s’installe, on prend le plat du jour pour ne pas embêter la patronne et on peut se parler sérieusement dans le cliquetis des couverts. »

« Et le matin, c’est bien aussi. On rentre pour se charger le cœur d’un peu d’humanité avant d’affronter la froideur des relations professionnelles.»

« La fréquentation du bistrot, ça permet de rester en vie. C’est comme la Sécu, mais en moins cher. En plus, on n’est pas obligé d’aller sur Internet pour s’en servir. »

« Et les soirs de match, c’est comme à la maison, mais en mieux. Il y a plein de gens qui braillent et qui ont l’air contents de brailler parce qu’ils ne peuvent pas le faire au bureau. »

« Et puis, on peut être copain avec n’importe qui. Parfois je deviens ami avec des gens que je ne connais même pas et eux ne me connaissent pas non plus. »

« C’est nettement mieux que Facebook. Quand on est ami avec l’autre, on voit une lueur chaleureuse au fond de ses yeux. »

« Parfois, il y en a même qui me montrent des photos de leurs gamins alors que je ne leur ai rien demander. Alors je dis qu’ils sont beaux et qu’ils lui ressemblent. »

« En mettant les choses au pire, on peut toujours se dire qu’on est copain avec le patron ou alors avec la serveuse accorte. »

« Et puis, si on n’a pas envie d’être copain, on peut rester des heures à regarder son verre de bière ou sa tasse de café, ça ne dérange personne. »

« C’est un avantage sur la salle à café du bureau : si je reste trop longtemps à regarder mon gobelet de café, le patron n’aime pas. »

« Le problème avec le bistrot, c’est qu’il faut en partir. Le soir, je rentre et avec Thérèse, je ne peux plus dire n’importe quoi. Elle n’aime pas tellement. »

« Oui, moi je suis obligé de m’endormir avec des souvenirs de bistrots. Ou alors de penser à ce que je dirai demain au bistrot. »

« Ceux qui ferment les bistrots n’ont rien compris à la nature humaine. Ce n’est pourtant pas compliqué : il y a des lieux où il faut être intelligents et d’autres où ce n’est pas obligé. »

« Oui, c’est comme le Tour de France, il faut des jours de courses et des jours de repos. Si on ne se décontracte pas de temps à autre, on n’arrive pas au bout. »

« En fait, il faudrait construire un bistrot dans l’entreprise et créer des pauses-bistrots. En additionnant la pause-bistrot et la pause-cigarettes, on devrait s’en sortir. »

Le bout du bout

17 juin, 2020

En Bourgogne

Le bourricot

Et le bourrin

Du bourgeois

Bourru

Ont le bourdon

Dans les bourrasques

Et le bourbier

De la bourgade.

J’ai rien compris !

16 juin, 2020

« Je ne voudrais connaître que des moments agréables. »

« Qu’est-ce qu’un moment agréable, maître ? »

« En effet, il est urgent de se donner une définition. Pour moi un moment agréable est un instant facilement accessible qui flatte les sens de telle manière qu’on a envie de revivre cet instant. »

« J’en déduis que la facilité d’accès est importante pour vous. »

« Oui ! Si je dois faire 15 kilomètres pour admirer un beau paysage, je ne suis pas sûr d’avoir envie de recommencer. Par contre, mordre dans un chou à la crème répond assez bien à ma définition : c’est délicieux et il est facile de rentrer dans le magasin de la pâtissière pour recommencer. »

« En fait, les deux moments sont également agréables, mais il y en a un qui coûte plus cher que l’autre. »

« Vous avez malheureusement raison, nous voilà encore ramener aux lois du marché. Quand je suis jeune et vaillant, je peux me payer des plaisirs qui coûtent beaucoup d’énergie. Quand je suis vieux, je me contente de plaisir à bas coût, comme d’écouter les oiseaux chanter sur mon balcon. »

« Donc, une vie complètement agréable ne peut se concevoir qu’en se contentant de plaisirs pas trop chers. Sinon, il faut se coltiner des moments désagréables entre les moments agréables. »

« Qu’est-ce qu’un moment désagréable, maître ? »

« On peut dire que c’est un moment où les sens sont fortement contrariés. Par exemple, descendre la poubelle dans le local à poubelles. L’odorat est sérieusement malmené. »

« Il a des moments désagréables qui coûtent peu d’énergie et des instants désagréables qui nécessitent beaucoup de courage : aller voir un proche à l’hôpital, par exemple. »

« La difficulté, c’est que les moments désagréables sont le plus souvent obligatoires, alors qu’on peut se dispenser de moments agréables sans dommage. »

« Ce n’est pas tout à fait exact ! Je pense que nous nous payons des moments agréables pour compenser les moments désagréables qu’on a été obligés de se cogner. C’est – en quelque sorte- le recherche d’un bilan équilibré. C’est peut-être ça le bonheur. »

« Remarquons que le bilan peut être très mince. On peut avoir très peu de moments désagréables et très peu de moments agréables. C’est un équilibre proche de zéro. Autrement dit, on peut être heureux en ne faisant rien ! »

« Très juste ! Voilà qui m’intéresse ! »

« Petite complication : le concept « agréable/désagréable » est très subjectif. Vous avez le droit de ne pas aimer les choux à la crème. Dans ce cas, me voir en manger un est un moment désagréable que vous compensez immédiatement par l’achat d’un éclair au chocolat. »

« Toutes nos vies sont donc déterminées par la recherche d’un équilibre agréable/désagréable et si possible par un solde positif. »

« Peut-on étendre ce constat aux groupes collectifs, maître ? »

« C’est délicat. Si mon moment agréable, c’est de regarder le foot à la télé, il est bien possible que je sois le seul dans ce cas. Un moment est souvent d’autant plus agréable qu’il est solitaire. »

Le supérieur

14 juin, 2020

« Il faut toujours que je la ramène. »

« Oui, c’est agaçant. »

« Ce n’est pas de ma faute si j’ai un avis pertinent et péremptoire sur tout. »

« Vous n’êtes pas très modeste. »

« Vous voudriez peut-être que je laisse les autres dans l’ignorance de mon savoir, alors que je peux leur rendre tant de services ? »

« Oui, je serais curieux de savoir si le monde s’arrête de tourner quand vous gardez vos conseils pour vous ! »

« Moi qui n’ai pour but que de rendre service, je suis bien déçu. »

« Vous souffrez ? Votre maman ne vous donnait pas assez à manger ? »

« Pourquoi dites-vous ça ? »

« Parce que souvent, les gens qui se croient indispensables et supérieurs aux autres souffrent d’un manque affectif qui remonte loin dans le temps. »

« Ne vous inquiétez pas, maman me nourrissait, sauf entre les repas, il m’était interdit d’ouvrir le frigo sous peine de privation de dessert. »

« Je m’en doutais. Et à l’école ? »

« J’étais tellement intelligent que je répondais toujours juste aux questions de la maîtresse. Les autres ne m’aimaient pas tellement et me cassaient la figure à la récré. »

« Mon pauvre ami, vous êtes un mal aimé. »

« Ne m’en parlez pas : quand j’ai voulu courtiser Fernande à 18 ans, elle m’a regardé d’un œil où flottait une onde de mépris. Elle préférait sortir avec Roger. »

« Vous êtes un vrai looser. »

« Oui, c’est comme ça que j’ai eu le temps de potasser le dictionnaire, ce qui m’a permis d’avoir un avis sur tout ! »

« Au bureau, vous avez pu vous distinguer ! »

« Absolument, la direction compte beaucoup sur moi. Les autres beaucoup moins. Je ne suis pas le bienvenu dans les conversations de machine à café. »

« Même avec Dugenou ! »

« Non, Dugenou m’aime bien. Je peux parler avec lui et faire étalage de mes connaissances. Comme il ne sait rien, c’est assez facile. »

« Et Mollard ? »

« Mollard ne me supporte pas, c’est clair. Chaque fois que nous avons une controverse, c’est moi qui ai raison, ça le rend malade. »

« Vous pourriez faire exprès d’avoir tort pour lui permettre de redresser votre opinion. En général, quand on peut corriger quelqu’un qui croit tout savoir, on le trouve plutôt sympathique. C’est comme s’il devenait humain. »

Le K.O. de Jacot

13 juin, 2020

Voici Jacot,

Un drôle de coco.

Cet asticot

En tricot

Me court sur le haricot.

Il pue de ses chicots.

Il n’a pas payé son écot.

Et vit dans son vieux tacot

Valère galère

12 juin, 2020

Valère

Est en galère.

Par un froid polaire,

Il a l’air

D’une perpendiculaire

Rectangulaire.

Il claque des molaires

Pour un salaire

Impopulaire.

Trahisons

11 juin, 2020

« Monsieur, vous êtes un être répugnant ! Vous avez trahi votre charcutier en passant à la concurrence. »

« Monsieur, la trahison est un geste d’intelligence ! J’ai comparé la qualité et les prix des andouillettes et je me suis décidé en fonction des résultats de mon étude ! »

« Et l’honneur, monsieur ? Qu’est-ce que vous faites de l’honneur ? Trahir son camp est toujours un geste parfaitement infâme. »

« Il ne s’agit que de charcuterie ! »

« Je m’en fous ! C’est comme une vraie trahison en période de guerre : vous êtes passé à l’ennemi pour de vulgaires raisons d’argent. »

« Evidemment, monsieur ! Trahir, ça pose déjà beaucoup de problèmes moraux au traitre, il ne va tout de même pas faire ça gratuitement ! »

« Mais vous vous n’hésitez pas ! Vous êtes ignoble dans tous les domaines : n’avez-vous pas délaissé cette pauvre Josiane pour Thérèse ! »

« Vous en avez de bonnes : je n’allais tout de même pas passer le reste de ma vie avec Josiane qui me cherchait querelle tous les week-ends pour n’importe quoi. Dans le domaine amoureux, trahir, c’est une opération de sauvegarde individuelle ! »

« Belle mentalité ! Et en plus, on me dit que vous ne dites même plus bonjour à ce pauvre Dugenou depuis qu’il a été placardisé par la nouvelle direction. Vous ne déjeunez plus à la cantine avec lui. »

« C’est évident : je déjeune utile ! On est au bureau, pas chez Emmaüs ! C’est chacun pour sa pomme, ça s’appelle une concurrence constructive ou encore savoir gérer sa carrière ! Si les patrons me voient avec Dugenou, je peux dire adieu à toute promotion ! »

« Et votre cynisme ne vous dérange pas ? »

« Si un peu, mais je le range dans ma réserve d’inhumanité où je mets tout ce que j’ai accompli de contraire à la solidarité humaine. »

« Et vous n’auriez pas un rayon ‘fraternité’ ? »

« Si, mais il est peu fourni. N’oublions pas que je suis descendu dans la rue pour défendre la liberté d’expression au coude à coude avec mes compatriotes ! »

« Voilà qui n’engage pas à grand-chose ! »

« Vous croyez que j’ai la belle vie ! Je trahis tout le monde pour vivre, mais tout cela me fait horriblement souffrir. Comme, je suis ravagé par le remords, je suis bien obligé d’exiger de l’argent en contrepartie de mes trahisons. Trahir, c’est pénible, mais alors trahir gratuitement, c’est le début d’une opération suicidaire ! Il faut être raisonnable, monsieur ! »

« Vous trahissez même vos propres convictions ; »

« C’est encore pire ! Je devrais être décoré. Quand on a cru pendant des années à l’égalité et à la fraternité entre les hommes, s’apercevoir à 40 ans qu’on a fait le contraire, c’est une vraie torture morale ! »

« Vous croyez qu’on va vous plaindre ? »

Revoilà le Y !

10 juin, 2020

Sous nos yeux,

A Sydney

Y a

Un psychanalyste

Un peu yéyé,

Un peu playboy,

Qui joue au yoyo

Avec un style

Moyen.

Un courrier

9 juin, 2020

Cher ami,

 Jadis, j’aimais attendre le passage du facteur, courir à la boîte aux lettres, découvrir une enveloppe timbrée, mon nom et mon adresse calligraphiés au dos avec application ou non.

J’en conviens : iI y avait là une jubilation enfantine, analogue à l’attente du jouet au pied du sapin de Noël enguirlandé. Mais c’était aussi un moment privilégié : plusieurs personnes s’étaient occupées de moi, vraiment ! J’étais un être auquel on estimait important de s’adresser de manière personnelle.

L’auteur se donnait la peine de se procurer un bloc de papier à lettres, une enveloppe à la juste taille, un timbre. S’en suivait l’étape la plus importante qui donnait toute la valeur à son geste : l’homme ou la femme se vêtait de son manteau, chaussait ses meilleures chaussures et se déplaçait, parfois dans le froid ou la canicule, jusqu’à la boîte aux lettres publique la plus proche.

Après une telle débauche d’énergie, comment ne pas attacher de la considération à sa missive ?

J’ai donc décidé de vous offrir un tel plaisir.

Petit problème : je n’ai pas grand-chose à vous dire.

Je pourrais vous parler du temps qu’il fait, c’est quelque chose qui se faisait lorsqu’on voulait rappeler son existence à son correspondant, sans pour autant être en mesure de lui parler d’évènements nouveaux ou importants.

Malheureusement, les progrès de la météorologie sont tels que je connais la couleur du ciel depuis plusieurs jours. Je ne peux même pas vous faire partager la joie ou déplaisir que je ressens en ouvrant mes volets selon que le soleil luit ou se cache.

Je pourrais également vous parler de ma santé et m’inquiéter de la vôtre. La pratique épistolaire permettait de pratiquer cet examen bilatéral. Nous pourrions ainsi dépasser le légendaire « ça va ? », deux syllabes qui annoncent que celui qui les prononce se fiche complètement de la santé de son vis-à-vis. Je dirais donc que je me porterais donc le mieux du monde et j’espèrerais bien entendu que vous pourriez m’en dire autant.

Les courriers de jadis permettaient aussi de faire part des projets de l’auteur, sans que ce dernier ait à s’inquiéter de l’intérêt que son correspondant trouvait à ses aventures quotidiennes. Je pourrais donc vous informer que Josiane et moi-même passerons les prochaines vacances d’été à Palavas-les -flots comme chaque année, information qui vous rassurerait sur notre insondable capacité à ne pas déroger à nos habitudes routinières.

Il était aussi du dernier bien de s’informer des études de nos enfants respectifs. Je partagerais ainsi avec vous l’anxiété que suscitent dans notre ménage les non-progrès de Jérémie en trigonométrie ou les manifestations d’indifférence affectée de Louise pour la poésie de Ronsard. Ce serait l’occasion de nous rappeler nos moments lycéens que nous qualifierions de jours heureux en s’efforçant d’oublier nos souffrances mathématiques ou littéraires.

Dans un courrier classique, j’aurais ainsi fait le tout de toutes les questions non urgentes qui agitent mon quotidien et dont le seul intérêt serait de vous faire part de la vacuité de mes jours. Pour marquer l’attachement qui nous lie depuis si longtemps, j’éprouverais le besoin de répéter que je formule le vœu d’une année douce pour vous et les vôtres.

J’ai éprouvé du plaisir à ne rien dire d’important et à vous procurer celui de découvrir le vide rassurant de mon existence. J’espère en apprendre autant de la vôtre,

Votre ami

Un jus ?

8 juin, 2020

Jules

N’est pas un judas

Ni un junkie.

Juliette

Le juge

Judicieux

Et juste.

Elle jubile

Dans son jupon.

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