Archive pour le 16 juin, 2020

J’ai rien compris !

16 juin, 2020

« Je ne voudrais connaître que des moments agréables. »

« Qu’est-ce qu’un moment agréable, maître ? »

« En effet, il est urgent de se donner une définition. Pour moi un moment agréable est un instant facilement accessible qui flatte les sens de telle manière qu’on a envie de revivre cet instant. »

« J’en déduis que la facilité d’accès est importante pour vous. »

« Oui ! Si je dois faire 15 kilomètres pour admirer un beau paysage, je ne suis pas sûr d’avoir envie de recommencer. Par contre, mordre dans un chou à la crème répond assez bien à ma définition : c’est délicieux et il est facile de rentrer dans le magasin de la pâtissière pour recommencer. »

« En fait, les deux moments sont également agréables, mais il y en a un qui coûte plus cher que l’autre. »

« Vous avez malheureusement raison, nous voilà encore ramener aux lois du marché. Quand je suis jeune et vaillant, je peux me payer des plaisirs qui coûtent beaucoup d’énergie. Quand je suis vieux, je me contente de plaisir à bas coût, comme d’écouter les oiseaux chanter sur mon balcon. »

« Donc, une vie complètement agréable ne peut se concevoir qu’en se contentant de plaisirs pas trop chers. Sinon, il faut se coltiner des moments désagréables entre les moments agréables. »

« Qu’est-ce qu’un moment désagréable, maître ? »

« On peut dire que c’est un moment où les sens sont fortement contrariés. Par exemple, descendre la poubelle dans le local à poubelles. L’odorat est sérieusement malmené. »

« Il a des moments désagréables qui coûtent peu d’énergie et des instants désagréables qui nécessitent beaucoup de courage : aller voir un proche à l’hôpital, par exemple. »

« La difficulté, c’est que les moments désagréables sont le plus souvent obligatoires, alors qu’on peut se dispenser de moments agréables sans dommage. »

« Ce n’est pas tout à fait exact ! Je pense que nous nous payons des moments agréables pour compenser les moments désagréables qu’on a été obligés de se cogner. C’est – en quelque sorte- le recherche d’un bilan équilibré. C’est peut-être ça le bonheur. »

« Remarquons que le bilan peut être très mince. On peut avoir très peu de moments désagréables et très peu de moments agréables. C’est un équilibre proche de zéro. Autrement dit, on peut être heureux en ne faisant rien ! »

« Très juste ! Voilà qui m’intéresse ! »

« Petite complication : le concept « agréable/désagréable » est très subjectif. Vous avez le droit de ne pas aimer les choux à la crème. Dans ce cas, me voir en manger un est un moment désagréable que vous compensez immédiatement par l’achat d’un éclair au chocolat. »

« Toutes nos vies sont donc déterminées par la recherche d’un équilibre agréable/désagréable et si possible par un solde positif. »

« Peut-on étendre ce constat aux groupes collectifs, maître ? »

« C’est délicat. Si mon moment agréable, c’est de regarder le foot à la télé, il est bien possible que je sois le seul dans ce cas. Un moment est souvent d’autant plus agréable qu’il est solitaire. »