Archive pour le 14 juin, 2020

Le supérieur

14 juin, 2020

« Il faut toujours que je la ramène. »

« Oui, c’est agaçant. »

« Ce n’est pas de ma faute si j’ai un avis pertinent et péremptoire sur tout. »

« Vous n’êtes pas très modeste. »

« Vous voudriez peut-être que je laisse les autres dans l’ignorance de mon savoir, alors que je peux leur rendre tant de services ? »

« Oui, je serais curieux de savoir si le monde s’arrête de tourner quand vous gardez vos conseils pour vous ! »

« Moi qui n’ai pour but que de rendre service, je suis bien déçu. »

« Vous souffrez ? Votre maman ne vous donnait pas assez à manger ? »

« Pourquoi dites-vous ça ? »

« Parce que souvent, les gens qui se croient indispensables et supérieurs aux autres souffrent d’un manque affectif qui remonte loin dans le temps. »

« Ne vous inquiétez pas, maman me nourrissait, sauf entre les repas, il m’était interdit d’ouvrir le frigo sous peine de privation de dessert. »

« Je m’en doutais. Et à l’école ? »

« J’étais tellement intelligent que je répondais toujours juste aux questions de la maîtresse. Les autres ne m’aimaient pas tellement et me cassaient la figure à la récré. »

« Mon pauvre ami, vous êtes un mal aimé. »

« Ne m’en parlez pas : quand j’ai voulu courtiser Fernande à 18 ans, elle m’a regardé d’un œil où flottait une onde de mépris. Elle préférait sortir avec Roger. »

« Vous êtes un vrai looser. »

« Oui, c’est comme ça que j’ai eu le temps de potasser le dictionnaire, ce qui m’a permis d’avoir un avis sur tout ! »

« Au bureau, vous avez pu vous distinguer ! »

« Absolument, la direction compte beaucoup sur moi. Les autres beaucoup moins. Je ne suis pas le bienvenu dans les conversations de machine à café. »

« Même avec Dugenou ! »

« Non, Dugenou m’aime bien. Je peux parler avec lui et faire étalage de mes connaissances. Comme il ne sait rien, c’est assez facile. »

« Et Mollard ? »

« Mollard ne me supporte pas, c’est clair. Chaque fois que nous avons une controverse, c’est moi qui ai raison, ça le rend malade. »

« Vous pourriez faire exprès d’avoir tort pour lui permettre de redresser votre opinion. En général, quand on peut corriger quelqu’un qui croit tout savoir, on le trouve plutôt sympathique. C’est comme s’il devenait humain. »