On ira tous au Paradis
31 mai, 2020« Je suis pétri d’amertume : c’est Georges qui a eu Anabelle, alors que je me mourrais d’amour pour elle. Je ne vais tout de même pas tenir la chandelle. »
« Ne vous en faites pas, il va souffrir dans pas longtemps. »
« Ah bon, vous êtes sûr ? »
« Oui, ça va commencer par les flaques d’eau qu’il laisse dans la salle de bains après son passage. Anabelle n’est tout de même pas sa femme de ménage. »
« Après, il va y avoir les sorties obligatoires au marché du samedi matin, alors qu’on a bossé toute la semaine et qu’il fait si chaud sous les couvertures. »
« Ce n’est pas vrai ! Vous croyez qu’elle va oser ? »
« Mais bien sûr. Après elle va enchaîner directement sur le coup des chaussettes sales qui trainent n’importe où. »
« C’est vrai que maintenant que vous le dites, tout ça n’est pas très tentant. »
« Il va les regretter ses jeans déchirés et ses tee-shirts tâchés, le Georges. Et il n’a pas encore vu le plus beau. »
« Ah bon ? Ne me faites pas languir. »
« Il va falloir qu’il parle à Anabelle, le jour et la nuit, la semaine et le dimanche. Même quand il aura tout dit, il faudra encore qu’il parle. »
« C’est légal, ça ? C’est un vrai supplice ! Et s’il ne parle pas ? »
« Là, c’est encore pire ! Il sera implacablement accusé de faire la gueule ! C’est très sévèrement réprimé. Il risque le bûcher. »
« Bon d’accord, vous m’avez convaincu. Finalement, je ressens moins de jalousie contre Georges, je suis plutôt dans la compassion. Je vais soupirer pour Jeanne qui me semble d’un tempérament à ne torturer personne. »
« Euh… oui… enfin, moi je n’ai rien contre Jeanne, mais méfiez-vous. Il y a une stratégie dont on ne parle jamais. Celle qui consiste à être sympa tout en poussant doucement le condamné vers la chambre des tortures. »
« Vous savez que ce que vous me dites est horriblement machisme, ça c’est illégal. »
« Vous avez raison, le mieux est de s’entraîner à subir la torture. »
« Et l’amour dans tout ça, qu’est-ce que vous en faites ? »
« Ah oui, l’amour… on peut en faire des romans, ça se vend très bien. Les amoureux trouvent toujours quelque chose à se dire. Il n’y a jamais de chaussettes sales entre eux. Etre amoureux, c’est un peu comme accéder au Paradis. »
« Ne seriez-vous pas un pessimiste, maître ? »
« Si je le suis, mais si tout le monde croit au Paradis, la vie sur Terre va devenir intenable. Plus personne n’aura de projet. Après avoir accédé au Paradis, que voulez-vous de mieux ? »
« N’empêche… Moi, je voudrais bien accéder au Paradis tout de suite. »