Archive pour le 16 avril, 2020

Nos bons mots

16 avril, 2020

« Je suis trop intelligent et trop compétent. Je m’excuse de vous faire de l’ombrage. »

« C’est vrai, mais on essaie de s’en remettre. Ne t’en fais pas. »

« Si, si… Tout  de même, je sens bien que ma vivacité d’esprit vous gêne. Je me sens très coupable. Que pourrais-je faire pour atténuer la différence de nos niveaux intellectuels ? »

« Tu devrais fréquenter Dugenou, c’est le plus bête d’entre nous. Avec lui, tu auras une vraie différence. »

« Je l’ai fait. Il m’a dit qu’il ne comprend rien à ce que j’ai dit. Je ne connais pas de mots assez simples pour entrer en contact avec lui. »

« C’est-à-dire que ce n’est pas des mots qu’il faut, mais plutôt des onomatopées, des interjections, des sigles, des cris… »

« Ah bon ? C’est terminé les mots et les phrases ? »

« Oui, maintenant on dit : à plus, comme d’hab, waouh, mdr…Ce genre de choses. »

« Pourtant Mollard, il fait des phrases, lui ! A la cantine, je l’ai entendu dire : je vous serais reconnaissant de bien vouloir me passer le pot à eau. »

« Oui, mais c’est beaucoup trop long. Les autres le coupent avant la fin. Mollard est réputé pour ne jamais finir ses phrases. »

« Bon alors, avec qui puis-je communiquer d’égal à égal ? »

« Il y a bien le petit jeune, Valentin Dumou, qui sort de l’Université. Il a dû apprendre des trucs compliqués et les avoir encore en tête. »

« Vous croyez que je pourrais m’entretenir de la relance économique par les méthodes keynésiennes qui s’appuient sur la dépense publique. »

« Je ne sais pas ce que c’est, mais vous pouvez toujours essayer. »

« Et Mauricette Poulet ? L’autre jour, il m’a semblé qu’elle formulait une phrase avec un sujet, un verbe et peut-être un complément. »

« Elle a dû se tromper. D’habitude, elle se contente de « quel connard ! » »

« Et par mail ? Puis-je m’entretenir avec quelqu’un qui me répondra en français ? »

« Non, c’est aussi beaucoup trop long. Essayez Erwan Loubard, il parait qu’il utilise les signes de ponctuation, moi je ne sais même pas où ils sont sur le clavier. »

« Je comprends, mon pauvre : il y a beaucoup trop de lettres. »

« Ce serait bien plus simple si on pouvait faire comme les indiens : communiquer par tam-tam. »

« Ou alors par des signaux de fumée. »

« On a essayé, mais ça a mis le feu à l’étage du patron qui n’a pas apprécier. Mais ne t’ inquiéte pas, il y a encore un minimum de communication dans l’entreprise. La plupart des gens se saluent le matin en se disant bonjour, quelques ringards disent souhaitent bonne journée ! »

« Il parait que Charlotte fait la bise, elle ! »

« C’est une survivante. Elle était là, il y a trente ans au début de la boite. On a été obligé de l’isoler dans un bureau. Elle se fait la bise à elle-même. »