Archive pour le 5 avril, 2020

Les compères

5 avril, 2020

« Compère Coq et Compère Canard déambulent dans la cour de la ferme d’un pas de promeneurs, tout en conversant paisiblement. »

« Holà, compère Coq dit compère Canard, avec votre plumage flamboyant vous devez pécho facilement dans le poulailler ! »

A ce point, remarquons que compère Canard qui commençait à prendre de l’âge s’exerçait à adopter un vocabulaire jeune pour avoir l’air dans le coup.

« Ne croyez pas cela, compère Canard, dit compère Coq. Aujourd’hui, les poules sont plus intéressées par les qualités « humaines » des coqs. Et puis, ils ont enlevé le tas de fumier sur lequel je m’exprimais si agréablement. Bref, plus personne ne recourt à mes services. »

« Je sais. Il y a une évolution des mentalités. Moi-même, je suis atteint par une ségrégation antivieux. Mes efforts en natation artistique dans la mare n’intéressent plus beaucoup de canes. Il faut dire que je ne servais pas à grand-chose, mais enfin tout de même, je donnais une touche campagnarde dans le paysage. »

« Pourtant avec l’âge, je suis devenu un coq modeste. Autrefois, je débutais mon tour de chant à cinq heures du matin et j’aime autant vous dire que les poulettes se pressaient pour m’écouter. Maintenant, elles ne se lèvent pas avant neuf heures et en plus elles prennent leurs mercredis ! »

« Moi aussi, j’avais un succès fou sur l’étang du père Cornu. Mais avec l’arrivée des jet-skis j’ai dû émigrer sur la mare de la mère Cornichon. »

Chemin faisant, compère Coq et compère Canard rencontrent compère Cheval qui traine sa peine.

« Holà, compère Cheval, dit compère Canard, vous semblez bien en peine. »

« Certes, répond compère Cheval, me voilà particulièrement désenchanté : je n’ai plus de charrettes à tirer le long des chemins creux. »

« Vous n’êtes pas le plus malheureux, compère Cheval, dit compère Coq. Moi, on m’a volé mon meilleur tas de fumier. »

« En plus, je ne peux plus faire étalage de la puissance de mon encolure quand on m’attelait à la charrue du fermier, lequel coule une retraite tranquille et n’en fiche plus une rame. »

« Venez compère Cheval, dit compère Canard, ruminons notre nostalgie ensemble. »

Coq, Canard et Cheval avancent désormais en triste cortège ! Compère Âne survient :

« C’est une manif contre les réformes ? interroge compère Âne. »

« Mais non, bougre d’âne ! Nous maugréons de concert car plus personne n’a besoin de nous. Veux-tu te joindre à nous, bougre d’âne. Tu ne sers pas à grand-chose non plus. »

« C’est vrai ! Dans le temps, je déshonorais les chenapans qui travaillaient mal à l’école. Aujourd’hui, il n’y a plus grand-chose qui leur fasse honte ! »

La troupe repartit en s’apitoyant sur la disparition de leurs riches passés. Chemin faisant, ils rencontrèrent un homme qui leur sembla triste.

« Holà compère, dit le Coq qui se voyait déjà élu Président de l’association des Compères dépressifs. Qui es-tu ? »

« Je suis le Compère Chômeur. Je ne sers plus à rien. Autre fois, je brillais par mon savoir-faire, aujourd’hui je me distingue par la faiblesse de mes allocations. »

« Viens avec nous, compère Chômeur, ton cas est encore pire que le nôtre. »