Archive pour le 15 mars, 2020

L’homme et la poule

15 mars, 2020

« Je couve mes poussins. Je leur apprends à marcher de manière distinguée, à se nourrir de vermisseaux appétissants, à avoir la frousse du renard. »

« C’est normal. Vous êtes une poule. Vous avez le souci inné de la reproduction de votre espèce. Moi aussi, me direz-vous, en tant qu’être humain, je voudrais que mes gamins deviennent des gens bien à mon image. »

« Il faut les couver. »

« Thérèse me dit que je les couve trop. Je ne vois pas comment je ferais, ils sont toujours sur leurs écrans. »

« C’est vrai que chez les poules, nous ne sommes pas habituées à aller sur Facebook. Finalement, nous connaissons mieux la nature que vous. Pour revenir à vos gamins, vous pouvez au moins leur apprendre à se nettoyer. »

« Si vous croyez que c’est facile de conduire Jonathan dans la salle de bains. Je crois qu’il y a oublié le concept de savon. »

« Et pour manger ? »

« Ce n’est pas mieux. On tourne autour du hamburger et à la rigueur du steak frites. Je ne vous dis pas les dégâts ! »

« Et pour les garder du renard, vous faites comment ? »

« Je ne fais pas. Chaque fois que je leur interdis quelque chose, il se précipite pour le faire. Ils ont une sorte de préférence pour l’interdit. »

« Mon pauvre, vous ne maitrisez pas le destin de votre civilisation. Pour nous, le concept de poule fonctionne à l’identique depuis des millénaires, il suffit de le perpétuer. »

« C’est vrai. Nous, on va vers l’intelligence artificielle. Vous, vous n’avez pas choisi d’aller vers la poule intelligente. Remarquez… ça vaut mieux pour nous. »

« Si c’est pour voir mes poussins passer leurs journées sur des smartphones, vous avez raison : je préfère rester comme on est. »

« En plus, vous faites des œufs, moi je ne suis pas sûr que je fasse quelque chose de consistant dans ma vie. Je travaille dans la pub, alors vous comprenez… »

« C’est vrai que je n’ai pas le souci de vanter le mérite de mes œufs. »

« Et avec le coq, ça se passe bien ? Il ne vous fait pas le coup de la domination masculine. »

« Si un peu, mais si on le laisse faire son malin et si on fait semblant d’admirer son plumage chatoyant, il nous fiche la paix. »

« Votre stratégie est assez habile. Les hommes sont d’une telle prétention ! Moi, je suis obligé d’admirer Thérèse, mais elle ne me fiche pas la paix pour autant ! »

« Finalement, individuellement, vous êtes peut-être plus intelligents. Mais collectivement, ça ne doit pas être drôle tous les jours de vivre dans votre poulailler. »

« On se demande pourquoi on vit plus longtemps que vous. C’est une vraie punition ! »

« Venez donc chez nous, il y a encore une place sur mon perchoir. Les petits seront ravis. »