La dépendance
« Vous vous rendez compte du nombre de gens dont vous dépendez ? »
« Ah bon ? Tant que ça ? »
« Oui, il y a d’abord Dugenou, votre patron qui vous paie. En substance, il tient votre vie entre ses mains. »
« C’est vrai, il peut me mettre sur la paille. C’est pour ça que je fayote à mort ! »
« Ensuite, il y a votre femme Thérèse et vos gamins qui décident de vous laisser ou non dix minutes de tranquillité quand vous rentrez. »
« Vous avez raison, ils empiètent un peu sur mon sentiment de liberté. »
« Plus grave ! Il y a votre médecin qui a le pouvoir de bien vous soigner ou non, selon sa compétence éventuelle et son savoir-faire. »
« J’ai confiance dans le docteur Mouchalait. La preuve, c’est que lui n’est jamais malade. »
« Vous dépendez également de votre directeur d’hypermarché et de sa volonté de réapprovisionner ou non le rayon de votre crème caramel préféré. »
« C’est vrai, j’en ai été privé pendant un mois au moment de ses vacances. Je pense aller le remercier de son indispensable présence. »
« Et votre fournisseur d’accès Internet, vous le révérez ? Vous devriez parce qu’en cas de coupure, il peut très bien faire semblant de ne pas comprendre vos urgences. »
« Vous avez raison ! Je vais moi-même augmenter le prix de mon abonnement ! »
« Et votre commissaire de police ? Vous lui offrez du chocolat de temps en temps ? Il faudrait pour qu’il évite de boucler votre gamin chaque fois qu’il est pris dans une manif de casseurs. »
« Non, mais j’offre déjà des fleurs à ses profs pour limiter la baisse de ses notes ! »
« Et le salut de votre âme, il faudrait vous en préoccuper un peu. Je vous signale que vous dépendez du bon vouloir du curé de votre paroisse qui ne vous voit pas souvent à la messe ! »
« Pfff… Néanderthal, lui, vivait en autonomie. Il ne connaissait pas son bonheur. »
« Non, il n’était pas autonome. Il dépendait de la nature qui l’avait ou non attribué une solide constitution pour casser la figure à ses contemporains et survivre un moment. »
« Vous allez me dire que – comme lui – je dépends du groupe qui me protège ou qui ne me protège pas selon que je suis ses conventions sociales ou non. »
« Exactement, vous dépendez de la bonne volonté du groupe. Je vous signale qu’il n’aime pas tellement les anarchistes et les marginaux qui entendent vivre sans dépendre de personne. »
« Si je comprends bien, pour bien vivre, il faut être enserré dans un réseau de dépendances. Et pour accéder à mon autonomie, je fais comment ? »
« Ne vous en faites pas. Plus vous avez de chefs, plus vous pouvez en jouer. Par exemple, si vous arrivez en retard au bureau, vous pouvez dire que c’est la faute des chauffeurs de bus en grève. Ou alors si vous arrivez en retard chez votre femme, ne vous embêtez pas, c’est la faute de votre patron qui vous a retenu pour une réunion tardive. Vous comprenez : toujours dépendant, mais toujours innocent ! »
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