Un casseur
16 février, 2020« Je suis un casseur. »
« Ah bon ? Et pourquoi vous casser ? »
« Parce que la société m’énerve. Dans les rues, les marchandises, les richesses et l’argent coulent à flots. C’est ce qui m’exaspère. Donc je casse. »
« Pourtant, il suffit de travailler pour s’acheter honnêtement ce dont vous avez besoin pour vivre. »
« Peut-être, mais pourquoi tout est une question d’argent ? Il pourrait y avoir des biens collectifs qui appartiendrait à tout le monde comme l’air qu’on respire. »
« Je vois ce que c’est, monsieur est un idéaliste. Alors, il casse. »
« Peut-être. De toute façon, tous ceux qui sont enfermés dans leur tour d’argent et leurs certitudes de nantis m’énervent. Donc je casse. »
« Vous avez la haine du bourgeois ? »
« Je dépasse le stade de la haine. Je suis un nihiliste. Plus rien ne doit exister, tout doit être détruit surtout le pouvoir et l’argent. Donc je casse tout.»
« Vous comptez faire une carrière professionnelle dans le nihilisme. »
« Le concept de carrière va disparaitre. C’est la meilleure façon de fabriquer de la jalousie, de la frustration, de la surconsommation. »
« J’y suis : vous êtes écolo. Vous vous battez pour la protection de l’environnement. »
« L’environnement ? Même dans ce domaine, il y a de la ségrégation sociale. Tout le monde ne peut pas aller n’importe où : vous allez passer quinze jours à Courchevel vous ? Ou sur les plages de Saint-Tropez ? Ce sont encore des espaces réservés. Donc je casse. »
« Faire du sport ? Et m’acheter des baskets avec des brillants dessus, hors de prix, pour le plaisir de financer des grandes marques internationales d’équipement. Vous m’avez bien regardé ? Donc, je casse et pas qu’un petit peu. »
« Aujourd’hui, il y a des mesures pour aider les plus fragiles. »
« Je ne suis pas fragile. Si vous voulez parler des pauvres, je trouve humiliant de faire la queue auprès de guichets pour quémander de quoi vivre. Je suis humilié, donc je casse. »
« Mais la société se défend. Vous allez finir en prison si ça continue. »
« J’espère bien, ça me donnera encore un peu plus de motivation. On a tous besoin d’une résistance pour agir. Et moi quand j’agis, je casse. »
« Je comprends : vous manquez d’idéal. C’est vrai qu’on ne vous en propose plus beaucoup. Passer son week-end dans les allées d’un supermarché, ce n’est pas euphorisant ! »
« Bon ! On parle… on parle…mais je n’ai encore rien cassé aujourd’hui. Je peux casser votre voiture ? »
« Euh… c’est que je n’ai pas fini de la payer ! »
« Et votre maison, je peux la ravager ? »
« Mon pauvre : ma voiture appartient au concessionnaire, ma maison à la banque, mon frigo à la grande marque d’électro-ménager… ce qui m’arrangerait c’est que vous cassiez mes crédits ! »