Archive pour le 28 janvier, 2020

La chemise

28 janvier, 2020

« C’est gratuit. »

« Comment ça ? Vous vendez des chemises gratuitement ? Où est l’arnaque ? Là-dessous il y a sûrement quelque chose qui va me coûter de l’argent. »

« Pas du tout ! Je vous dis que je vends tout gratuitement. »

« Vous avez conscience que nous vivons dans un monde marchand ? Il y a un vendeur et un acheteur. Le vendeur essaie de fourguer un produit à l’acheteur au prix le plus élevé possible et l’acheteur tente de payer le moins possible. »

« Oui, je sais. C’est à celui qui trompera l’autre sur le prix de la marchandise. Entre êtres humains, ça ne devrait pas exister ! »

« Mais en me vendant des trucs gratuitement, vous dérégulez le marché. Vous fichez en l’air le système économique libéral. C’est très grave. »

« C’est bien possible. Je n’aime pas ce système. »

« Mon pauvre ! Le marché, c’est comme le soleil, vous n’avez pas à l’aimer ou ne pas l’aimer. Il est là et vous devez vous adapter pour survivre. »

« C’est comme ça. Si je vous dis que cette chemise vaut 20 euros, j’ai l’impression de chercher à vous voler. Or, je suis un honnête homme, moi monsieur. »

« Un honnête homme ne chercherait pas à détruire le fonctionnement de notre économie. En plus, en supposant que je ne peux pas vous payer une chemise, vous portez atteinte à mon honneur ! »

« Désolé ! Je fais un effort : je vous propose de vous la céder pour 1 euro. »

« Vous plaisantez ! Je ne suis pas un miséreux. C’est une très belle chemise en coton qui vaut au moins … disons… 18 euros. En plus, elle a été fabriquée chez nous ! Il faut rémunérer nos producteurs locaux au juste prix ! »

« Bon, allez… Je monte jusqu’à 8 euros, mais c’est bien parce que c’est vous ! »

« Je vous ferais remarquer que je pourrais très bien aller au magasin d’à-côté pour acheter la même chemise à un prix scandaleusement élevé ! »

« Allons, allons, ne nous énervons pas. Si vous croyez que ça m’amuse. Je vais faire encore un effort. Pour le même prix je vous en donne deux ! »

« Ce qui met la chemise à 4 euros. A ce prix-là, je n’oserai pas la porter. Je dois porter des vêtements très cher. C’est une question de standing. Je ne vais tout de même pas aller à mon conseil d’administration dans un costard low-coast ! »

« Bon, je vais jusqu’à 10 euros. C’est mon dernier prix. Au-dessus, je vais faire du profit sur votre dos et ça va me culpabiliser. »

« Moi, je descends à 12 euros, mais je vous préviens : je n’irai pas plus bas. En plus, vous me marquerez 25 euros sur l’étiquette. Je ne veux pas que mon épouse croie que je porte des chemises d’occasion ! Elle aime le luxe, mais le luxe de prix !»

« 12 euros : on est d’accord. J’espère que je ne porte pas trop atteinte au marché à ce prix-là. Je vous ferais bien un paquet-cadeau, mais vous allez encore râler ! »