Archive pour janvier, 2020
La jungle
30 janvier, 2020« Je ronchonne, parait-il. »
« Ah bon ? Contre quoi ? »
« Je n’en sais rien. Tout. Je bougonne préventivement pour que les gens aient peur de moi. Comme ça, on me fout la paix. »
« Vous n’êtes guère convivial. »
« Je ne suis pas du genre à sourire quand on me marche sur les pieds. Et puis, de toute façon, grogner est une façon de m’exprimer. J’aime bien. »
« Vous n’êtes qu’un ours mal embouché. »
« Oui, mais à mon avis, vous vous faites partie des un ours polis et souriant. Un ours domestiqué en quelque sorte. Quelle déchéance pour un ours brun. »
« C’est ce qu’on appelle la civilisation. Moi, je ne sors pas d’une caverne. »
« Peut-être, mais vous vous êtes mis sur les bras tout un tas de conventions sociales. Vous êtes obligé de dire bonjour le matin, et même de faire des bises. Quelle horreur ! »
« Vous hibernez ? »
« Oui, l’hiver, je suis encore pire. Je sur-ronchonne. Mon degré d’insociabilité varie avec le temps. Il m’est même arrivé de saluer mon voisin par beau temps. »
« Et le matin, c’est mieux ? »
« C’est pire. J’engueule même ma tasse de café et mon chat. Et vous l’ours poli, vous ne vous énervez jamais contre les autres ? »
« Euh… si au boulot, mais là il faut se battre comme des lions ou avoir la ruse du renard. »
« C’est normal : les grands de ce monde se comportent avec la délicatesse des éléphants. Dans la jungle on ne se fait pas de cadeaux. »
« Ce n’est pas une raison pour se réfugier dans une grotte ou alors de partir sur la banquise comme certains de vos congénères. »
« Le seul ennui, c’est qu’il faut se nourrir. N’importe quel animal possède l’instinct de conservation. Personne n’osant approcher ma grotte, je suis bien obligé de m’en extraire de temps à autre. »
« Comme vous le faites en ronchonnant, vous n’êtes pas très bon chasseur, tandis que moi, j’ai l’habitude. Au bureau, tous ceux qui s’opposent à mon ascension professionnelle, je le mange tout crus, comme le tigre des savanes dévore la gazelle. »
« Je suis peut-être désagréable avec les autres, mais vous vous êtes un félin sanguinaire et odieux. »
« Vivre ou mourir, c’est la loi de la jungle. Seuls les plus forts résisteront. Vous, en vous retirant dans votre caverne, vous bafouez les lois de la sélection humaine. »
« Je ne bafoue rien. Je montre qu’il existe d’autre solution que de se mettre dessus. Il suffit que tout le monde reste tranquille dans son coin. »
« Eh ben, elle est belle votre société ! Heureusement qu’il existe une élite battante. Autrement dit des aigles comme moi qui survolent la forêt grouillante d’animaux peureux et irresponsables comme vous qui ne pensent qu’à dormir dans leur coin pour qu’on les laisse tranquilles. »
L’histoire du malheureux barbu
29 janvier, 2020La chemise
28 janvier, 2020« C’est gratuit. »
« Comment ça ? Vous vendez des chemises gratuitement ? Où est l’arnaque ? Là-dessous il y a sûrement quelque chose qui va me coûter de l’argent. »
« Pas du tout ! Je vous dis que je vends tout gratuitement. »
« Vous avez conscience que nous vivons dans un monde marchand ? Il y a un vendeur et un acheteur. Le vendeur essaie de fourguer un produit à l’acheteur au prix le plus élevé possible et l’acheteur tente de payer le moins possible. »
« Oui, je sais. C’est à celui qui trompera l’autre sur le prix de la marchandise. Entre êtres humains, ça ne devrait pas exister ! »
« Mais en me vendant des trucs gratuitement, vous dérégulez le marché. Vous fichez en l’air le système économique libéral. C’est très grave. »
« C’est bien possible. Je n’aime pas ce système. »
« Mon pauvre ! Le marché, c’est comme le soleil, vous n’avez pas à l’aimer ou ne pas l’aimer. Il est là et vous devez vous adapter pour survivre. »
« C’est comme ça. Si je vous dis que cette chemise vaut 20 euros, j’ai l’impression de chercher à vous voler. Or, je suis un honnête homme, moi monsieur. »
« Un honnête homme ne chercherait pas à détruire le fonctionnement de notre économie. En plus, en supposant que je ne peux pas vous payer une chemise, vous portez atteinte à mon honneur ! »
« Désolé ! Je fais un effort : je vous propose de vous la céder pour 1 euro. »
« Vous plaisantez ! Je ne suis pas un miséreux. C’est une très belle chemise en coton qui vaut au moins … disons… 18 euros. En plus, elle a été fabriquée chez nous ! Il faut rémunérer nos producteurs locaux au juste prix ! »
« Bon, allez… Je monte jusqu’à 8 euros, mais c’est bien parce que c’est vous ! »
« Je vous ferais remarquer que je pourrais très bien aller au magasin d’à-côté pour acheter la même chemise à un prix scandaleusement élevé ! »
« Allons, allons, ne nous énervons pas. Si vous croyez que ça m’amuse. Je vais faire encore un effort. Pour le même prix je vous en donne deux ! »
« Ce qui met la chemise à 4 euros. A ce prix-là, je n’oserai pas la porter. Je dois porter des vêtements très cher. C’est une question de standing. Je ne vais tout de même pas aller à mon conseil d’administration dans un costard low-coast ! »
« Bon, je vais jusqu’à 10 euros. C’est mon dernier prix. Au-dessus, je vais faire du profit sur votre dos et ça va me culpabiliser. »
« Moi, je descends à 12 euros, mais je vous préviens : je n’irai pas plus bas. En plus, vous me marquerez 25 euros sur l’étiquette. Je ne veux pas que mon épouse croie que je porte des chemises d’occasion ! Elle aime le luxe, mais le luxe de prix !»
« 12 euros : on est d’accord. J’espère que je ne porte pas trop atteinte au marché à ce prix-là. Je vous ferais bien un paquet-cadeau, mais vous allez encore râler ! »
La mésaventure de Sacha
27 janvier, 2020Pouvoir râler !
26 janvier, 2020« C’est un scandale ! »
« Quoi ? Qu’est-ce qu’il vous arrive ? »
« Rien, justement. Je n’ai pas de scandale à dénoncer aujourd’hui. J’ai l’air de quoi maintenant ? »
« Allons, allons ! Cherchons bien ! Il y a forcément un ministre qui a oublié de déclarer son pognon ? Ou alors une vedette de la chanson qui divorce pour la quinzième fois ? Ou bien votre charcutier qui est parti en vacances sans vous prévenir ? Si on en cherche, on en trouve ! »
« Moi, je n’ai pas de chance. J’ai une femme qui fait attention à moi. Des gamins qui travaillent bien à l’école. Comment voulez-vous que je râle ? »
« En effet, c’est difficile. Vous ne pouvez même pas dire pis que pendre des profs comme tout le monde. »
« Le mieux, ce serait que je dénonce vos privilèges. »
« C’est-à-dire que je n’en ai pas beaucoup.»
« On vous a attribué la place de parking que je convoitais par exemple.
« Oui, mais vous ne venez pas en voiture. »
« Ah mince ! C’est vrai ! Si on râlait ensemble contre Dugenou qui a un bureau plus grand que les nôtres ! Ce n’est pas un scandale ça ? »
« Si, mais tout le monde s’en fout. On pourrait aussi se plaindre de la cantine qui ouvre à midi trente ! Comme s’il était interdit d’avoir faim avant ! »
« En effet, je suis outré. Et qu’est-ce que vous pensez de la température dans les bureaux. On pourrait s’indigner : il fait trop froid. »
« Mais moi, je trouve qu’il fait trop chaud ! »
« J’ai mieux : on pourrait révéler que le patron et Odette… Vous voyez ce que je veux dire… Là, on tient un scandale à rebondissements. »
« Ce n’est pas possible, on lui a déjà fait le coup avec Thérèse, et après avec Josiane, ça va finir par ne plus être crédible ! »
« La direction n’y met pas du sien. On dirait qu’ils sont contents quand on n’a pas de motifs pour râler. »
« On pourrait dénoncer le scandale de l’absence de scandale. »
L’attaché et le potache
25 janvier, 2020Réflexions sur des choses et d’autres
23 janvier, 2020« Quand on y pense… On dit que l’Homme s’est adapté à la nature. C’est faux. Pour soi-disant s’adapter, il a fait le contraire d’elle. »
« Allons bon, voilà autre chose. Donnez-moi donc quelques exemples. »
« Par exemple, il a trouvé le moyen, d’avoir froid quand il fait chaud et chaud quand il gèle dehors. »
« Il est vrai que nos plus anciens ancêtres acceptaient d’avoir froid quand il faisait froid et chaud quand il faisait chaud, ils ont développé une certaine résistance aux sauts du thermomètre. »
« Autre exemple : quand la neige ne tombe pas dans certaines stations, l’Homme n’a fait ni une ni deux, il a inventé la neige artificielle. A force de contrarier la nature, il ne faut s’étonner qu’elle se fâche de temps en temps. »
« D’abord, on ne la contrarie pas, on se protège de ses excès néfastes à la santé. On ne peut tout de même pas tous mourir de froid en plein hiver. »
« Bon d’accord, mais l’Homme repousse peu à peu les limites de son pouvoir, ce n’est pas tout le temps pour se protéger. Bientôt, il saura se déplacer à 500 kilomètres-heures. C’est un pied-de-nez à l’espace et à la distance. Ce n’est pas pour se protéger ! »
« Si je comprends bien, vous êtes pour le retour de la diligence. »
« Non, mais je fais remarquer que l’homme est plus soucieux de son confort que de sa protection. »
« On peut combiner les deux. Le téléphone portable est certes un élément de confort ou de divertissement, mais il peut donner l’alerte en cas de problème ! »
« Aujourd’hui, on se protège contre tout, ce qui fait la fortune des assureurs. Néanderthal n’avait presqu’aucun protection, mais il a survécu. C’est d’ailleurs pour ça qu’on est là. »
« Le plus fort c’est que l’Homme a développé ses protections en même temps qu’il se créait ses propres dangers : la voiture par exemple. On ne sait plus si on se protège des dangers, ou si on se crée des dangers pour se protéger. »
« Vous exagérez ! Quand on a créé la télé, on ne pouvait pas prévoir que ça allait devenir un objet d’abêtissement. »
« C’est encore pire. L’homme crée des trucs sans anticiper les dangers que ça va produire. Je suis inquiet du développement de l’intelligence artificielle. »
Le pauvre destin du soupirant
22 janvier, 2020Peut-on être encore original ?
21 janvier, 2020« J’ai encore repéré l’une de nos contradictions ! »
« Ah bon ! Voilà autre chose ! »
« Nous sommes obligés de faire comme tout le monde. Dans la rue, on a tous à peu près la même allure vestimentaire. On mange aux mêmes heures des choses qui se ressemblent. Pour les vacances, on va s’agglutiner sur les mêmes plages. »
« C’est vrai que nous ressemblons un peu à un troupeau de moutons, mais ça sécurise les gens de savoir qu’ils sont dans les normes. »
« Oui, mais en même temps, on aime bien être original. On ne se prend pas pour n’importe qui. Quand Josiane va en soirée et qu’elle tombe sur une femme qui porte la même robe ou les mêmes bijoux, c’est la crise ! »
« Il est vrai que moi-même, je n’apprécie pas tellement croiser la même voiture que la mienne ! J’aimerais bien d’ailleurs que vous changiez la vôtre. »
« N’y comptez pas. Moi, j’aime avoir des opinions originales. Vous devriez modifier votre orientation politique. »
« Je ne peux pas, j’essaie de me faire bien voir du patron. Ce n’est pas le moment de virer gauchiste ou anarchiste. »
« Et voilà, on en revient à un comportement moutonnier ! »
« Pas du tout ! Je suis un être original : je suis capable de changer d’opinion et de comportement selon l’endroit où je me trouve. »
« Je reconnais qu’au bureau, il vaut mieux être conservateur sur la plan économique et social. Moi, j’arrête de remettre en cause le capitalisme libéral ! La direction m’a fait savoir que ce n’était pas vraiment opportun dans la perspective d’une revalorisation de carrière. »
« Autrement dit, on a le choix entre originalité et chômage d’un côté, et hypocrisie et bon salaire de l’autre ! »
« C’est comme ça que ça marche dès notre plus jeune âge. En Cm2, j’ai tout fait pour être le chouchou de la maitresse. Au collège, j’ai tenté de séduire la prof d’anglais. Au lycée, pour me faire bien voir des filles, j’étais contre tout, alors je distribuais des tracs pour lutter contre la faim dans le monde ou pour n’importe quoi. »
« Autrement dit, l’étude de l’hypocrisie sociale fait partie de l’apprentissage du jeune homme. »
« Eh oui, c’est après qu’on apprend à rentrer dans le rang, tout en regrettant de ne plus en sortir. Soudain, on a des ambitions en baisse. A quarante ans, avec un crédit monstrueux et deux gamins braillards sur les bras, on ne fait plus tellement le malin. »
« Allons, allons, pas de défaitisme ! Il vous reste des domaines d’excellence ! Vous réussissez les spaghettis à la napolitaine comme personne ! D’ailleurs, j’aime beaucoup être invité chez vous, vous avez un excellent porto. »