Liberté de parole
27 août, 2019« Gardes ! Veuillez bâillonner le prisonnier. »
« Mais pourquoi donc me priver de parole, sire ? »
« Je n’aime pas qu’on me parle, surtout pour m’insulter. Même mes conseillers ne doivent pas l’ouvrir sans autorisation. Alors vous… »
« Mais je peux aussi vous parler par mes regards venimeux ou même agressifs. C’est encore pire que deux ou trois insultes bien senties. »
« Prenez garde, prisonnier, je peux vous faire bâillonner les yeux, s’ils m’envoient des éclairs hostiles. »
« Bon, alors je fais quoi, moi ? »
« Rien, un prisonnier ne doit rien faire, à part être prisonnier. »
« Mais ma silhouette légèrement voûtée ne pourrait-elle exprimer mon exaspération vis-à-vis de ma situation. »
« Vous avez raison, je pourrais en prendre ombrage. Gardes ! Veuillez redresser la silhouette de monsieur. Il n’a pas à être exaspéré. »
« Puisque vous réduisez au silence, je vais produire un silence glacial pour vous faire part de ma réprobation. »
« Gardes ! Veuillez attiser le feu dans l’âtre ! »
« A moins que vous préfériez un silence consterné ? »
« Je vous consterne, moi ? Gardes ! Qu’est-ce qu’on a contre le silence consterné ? »
« Vos gardes ne peuvent pas bâillonner mon silence, majesté. Vous feriez mieux de me relâcher ?»
« Ça ne va pas ? Vous avez déjà vu un prisonnier libre ? Et puis, si je vous rends la liberté, vous en profiterez pour dire du mal de moi. »
« C’est interdit, aussi ? »
« Oui, ça me fait beaucoup de peine. Vous ne voudriez tout de même pas être la cause de mon chagrin ? »
« Et si je promets de dire du bien de vous ? »
« Moi, je répandrai la nouvelle selon laquelle vous n’êtes qu’un vilain hypocrite. »