Archive pour octobre, 2018
Un apprenti artiste
30 octobre, 2018« Vous dessinez et vous peignez ? Vous savez que c’est une activité d’analphabète ? »
« Ah bon ? C’est sympa de me dire ça. »
« C’est comme ça que s’exprimaient les premiers hommes sur les murs de leurs cavernes. Ils n’avaient pas d’autres outils à leur disposition. »
« Je ne suis pas un primitif, mais j’ai un point commun avec Cromagnon : j’ai besoin de reproduire la vie telle que je la vois ou telle que je la ressens. »
« Parmi vos dessins et vos tableaux, il y en a qui ressemblent à rien. »
« Je suis d’accord. J’ai dû les dessiner ou les peindre, à la fin d’une journée pourrie, pendant laquelle j’ai eu l’impression que la vie ne ressemblait à rien. »
« Et vos mains, les mains de vos tableaux, vous avez vu vos mains ? Elles ne sont pas très bien dessinées ! »
« Vous avez raison, les mains c’est la partie du corps la plus difficile à restituer. C’est une mécanique complexe. Si le dessin est trop sommaire, on a l’impression que les personnages ont des saucisses au bout des bras. »
« En plus, le souci avec les mains, c’est qu’elles s’expriment. »
« C’est vrai, c’est même le mouvement des mains qui donnent le mouvement du dessin. Je les mets souvent dans les poches ou dans le dos des personnages pour me simplifier la vie, mais je le reconnais, ça donne des dessins où l’on s’ennuie un peu. »
« Et les yeux de vos portraits ? Ils ne sont pas très bien rendus. On dirait que vos modèles louchent. »
« Bon d’accord ! Ce qui est difficile, ce ne sont pas les yeux, c’est le regard. C’est une leçon de vie : un être humain peut avoir des yeux quelconques, mais un regard très intéressant. »
« Bon… Il faudrait aussi améliorer les poses. On n’est plus au XIX e siècle. »
« D’accord, d’accord. J’admets que les poses de mes modèles sont un peu trop… posées. Reproduire la vie, c’est reproduire le mouvement. Ceci dit reproduire le mouvement sur une toile… »
« On ne vous demande pas de reproduire, mais de donner la sensation de… »
« Et mes paysages ? Vous n’avez rien dit de mes paysages ? »
« Vos arbres ressemblent à des choux-fleurs. On n’a absolument pas envie de monter dans les branches. Vous pourriez au moins donner l’impression qu’ils sont agités par le vent ou alors qu’ils perdent tristement leurs feuilles. »
« Et mon océan ? »
« C’est pareil. On devrait avoir envie de se jeter dans les vagues ou entendre le craillement des mouettes au-dessus de la plage. Je n’entends rien du tout. »
« Bon, je vais peut-être me lancer dans l’abstrait. »
Je suis contre
29 octobre, 2018Un peu de frivolité
28 octobre, 2018« Vous êtes bien coquette, madame ! »
« Oui, je suis la coqueluche des messieurs qui adorent me mater. »
« Et vous, vous aimez être dévisagée. »
« Oui, je me donne beaucoup de mal. Si vous voyez mon budget en produits de beauté ! »
« Monsieur votre époux ne doit pas en revenir. »
« Si, il est content ! Parce que mes dépenses en produits cosmétiques, ce n’est rien à côté de ce que lui coûte ma garde-robe. »
« Mais vous travaillez ? »
« Non, ce n’est pas possible. Compte tenu du temps qu’il me faut pour me préparer, je ne serais jamais à l’heure au bureau et ça ferait un tas d’histoires. Et moi, dès que je suis contrariée mon maquillage coule. »
« Ce serait dommage en effet. »
« L’idéal, ce serait que je trouve un emploi où je ne ferai rien d’autre que de montrer ma silhouette et mon allure incroyables. »
« Voilà qui doit être rare. »
« Vous l’avez dit. Il faut donc que je trouve un moyen de me montre. J’oblige mon mari à me sortir dans les meilleurs restaurants. Le pauvre ! Il doit se débrouiller chaque fois pour trouver une table bien en vue où je puisse être admirée. »
« Et ça marche ? »
« Non, pas toujours. Parfois, je dois m’esclaffer très fort pour qu’on me remarque. Ou alors gronder les maîtres d’hôtel pour qu’ils daignent enfin me considérer. »
« Vous ne pouvez pas passer votre vie au restaurant. »
« C’est vrai. Je suis obligée de me faire inviter à des vernissages d’exposition. Je n’y connais rien en art, mais je mets mon plus beau décolleté et tout le monde trouve soudain que j’ai un goût très sûr en peinture. C’est du plus hait comique. »
« Mais les gens viennent voir les tableaux, pas les visiteuses ! »
« Vous plaisantez ! Si je m’aperçois que je ne produis pas d’effet, je m’exclame de ravissement devant une œuvre. Je convoque l’artiste. Je lui décerne mille lauriers en parlant bien fort. Et mon mari achète l’œuvre très cher. Bien entendu, elle finit au fond d’un placard. »
« Et un peu de modestie, ça ne vous tente pas ? »
« Si bien sûr, parfois je vais aux ventes de charité pour faire œuvre de bienfaisance. Je mets des lunettes noires pour faire celle qui veut passer incognito, tout en espérant être reconnue quand même. A la fin, je félicite discrètement les organisateurs en donnant un chèque préparé par mon mari. Ils n’ont pas le droit d’en parler, mais ils peuvent laisser fuiter l’information »
Hue, cocotte !
26 octobre, 2018Surmené ?
25 octobre, 2018« Je suis trop payé pour ce que je fais. »
« C’est une chose qui arrive, mais c’est moins grave qu’être insuffisamment payé. »
« Je trouve que ça se vaut. Les gens qui ne sont pas assez payés sont frustrés, moi je me sens culpabilisé. »
« Vous êtes donc placardisé ? »
« Oui. Je ne fais rien ou alors des choses qui sont inutiles. Le pire c’est que tout le monde sait qu’elles sont inutiles. Pourtant, je fais ce que je peux pour avoir l’air affairé. »
« Comment fait-on pour être submergé par aucun travail ? »
« C’est une longue pratique. Vous pouvez par exemple traverser un couloir avec un dossier sous le bras, tout en regardant votre montre avec anxiété. »
« Intéressant. Mais encore. »
« Vous partez du bureau après les autres. 5 minutes de plus permettent, en général, de faire comme si votre travail justifie plus d’heures de travail que les autres.
« C’est un peu hypocrite, non ? »
« Oui, mais tout est hypocrite. Pour la plupart des salariés, il s’agit d’en faire le moins possible tout en se plaignant surbooké par la charge de travail. »
« Et si on allège leur charge de travail ? »
« Ils se plaindront aussi parce qu’ils s’estimeront méprisés. »
« Bref, ils sont mécontents dans tous les cas. »
« Oui, ça marche grâce au concept de l’honneur. L’honneur, c’est de travailler à une œuvre collective, mais c’est insuffisant. Il faut aussi être reconnu comme indispensable à cette œuvre. »
« Comment fait-on pour être indispensable ? »
« D’abord, comme je vous l’ai dit, il faut être surbooké. Ensuite si ça ne suffit pas, on peut compliquer les procédures avec des contrôles inutiles ou des demandes d’autorisations ou des groupes de travail. »
« Et ça suffit ? »
« Non, il faut paraître aussi plus indispensable que les autres. La notion est relative. Si vous êtes moins indispensable que le voisin, c’est que vous ne faites pas grand-chose. Et par conséquent, on risque de vous sucrez des moyens pour travailler. »
« Et en plus ? »
« En plus, il faut le faire savoir que vous êtes indispensable. Si personne ne le sait, c’est peine perdue. Le fin du fin, c’est d’obtenir que les autres vous plaignent d’avoir tant de travail. »
Guili, guili !
24 octobre, 2018Lot de consolation
23 octobre, 2018« Il faut me consoler. »
« Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous arrive ? »
« Rien de spécial. Mais je trouve que ma vie est triste. Métro-boulot-dodo, et le lendemain ça recommence. Un peu de compassion ne me ferait pas de mal. »
« Oh, ma pauvre ! Vous voilà bien morose ! Mais vous savez on en est tous plus ou moins au même point. »
« Vous ne consolez pas très bien. Le fait de savoir que tout le monde est déprimé par la monotonie de la vie moderne ne me console pas tellement. »
« Bon, il vous faudrait peut-être huit jours de repos. Allez voir votre médecin, il vous arrêtera surement quelques jours, tout en vous prescrivant un petit remontant. »
« C’est que je ne veux pas être arrêté, c’est encore plus dur de reprendre. C’est comme quand vous arrêtez le vélo et que vous reprenez huit mois plus tard. Un vrai supplice. »
« Je vois ce que c’est, il vous faudrait un grand projet exaltant ! Quitter votre mari pour de nouvelles aventures ! »
« Georges va râler ! »
« On s’en fout. Vous voguerez vers d’autres horizons. »
« Euh… vous n’auriez rien de moins risqué. Si je me casse la figure, je vais être encore plus déprimée que déprimée. »
« Euh… Eh bien, cultivez-vous. Lisez, écoutez de la musique, allez dans les musées, ça vous ouvre l’esprit ! »
« Je veux bien aller dans les musées, mais il faut que j’aille chercher le gamin à l’école à 16 heures 30, sinon j’ai un tas d’histoires avec la directrice. Consolez-moi mieux. »
« Pfff… c’est compliqué avec vous ? »
« Vous en avez de bonnes ! Vous n’avez jamais besoin d’être consolée, vous ? Nous pourrions échanger nos consolations ! Vous sauriez l’impression que ça fait d’être mal consolée. »
« Oh moi, ça va ! Maurice me fait la gueule, les gamins sont infernaux, le dernier a une angine, mon patron me harcèle, mais globalement ça va… »
« Vous en avez de la chance ! Moi, pour couronner le tout, la carosserie de ma voiture a été rayée et aujourd’hui, c’est le jour de choucroute à la cantine ! »
« En effet, ma pauvre, rien ne vous sera épargné. »
« Voilà, ça, c’est mieux consolé. J’aime comme considère comme victime d’un mauvais sort qui s’acharne sur moi. »
« Excusez-moi ! C’est vrai qu’avec tous les soucis que vous avez, il ferait beau voir que vous soyez mal consolée ! »
Double jeu
22 octobre, 2018Bon voisinage
21 octobre, 2018« Il faudrait nous réconcilier. »
« Mais, nous ne sommes pas fâchés ! »
« C’est préventif. Moi, j’aime bien vivre en paix. Et j’ai remarqué que vous, vous énervez facilement ! Vous êtes un voisin un peu sanguin ! Nous pourrions mettre en place un concordat. »
« Bon, d’accord. Comment on fait ? »
« Article 1er. Vous ne critiquez pas ma voiture ou mes affaires. »
« Mais vous, vous me critiquez parfois. »
« Oui, mais c’est pour rire. Article 2 : ne soyez pas susceptible. »
« C’est tout ? »
« Non, il faudrait aussi m’inviter à utiliser votre piscine quand il fait trop chaud. Je ne vais tout de même pas en creuser une autre. Vous vous rendez compte du gaspillage d’eau que ça représenterait ? »
« Et moi, je pourrais aussi rédiger un article du concordat ? »
« Oui, mais pas trop contraignant. J’aime bien ma liberté individuelle. »
« Bon. Article 3 : vous vous achetez une salière. »
« Ce serait dommage. La vôtre est très pratique. Votre proposition est rejetée. »
« Et pourquoi donc ? »
« Pour qu’elle soit acceptée, il faut recueillir la majorité plus une voix, c’est-à-dire nos deux voix. Vous n’avez pas de chance, vous loupez le coche pour une voix ! »
« Je peux faire un article contre vous dans le journal local ? Ou alors un pamphlet que je pourrais distribuer dans les boîtes aux lettres du quartier ? »
« Non, je n’ai pas trop envie. Je serais obligé de répondre par une diatribe contre vous sur mon site Internet. Ce serait l’occasion de briser notre bonne entente. »
« Remarquez qu’il y a peu de monde qui va sur votre site, il n’est pas tellement intéressant. Vos vacances à Pornichet m’indiffèrent totalement. »
« Et ma page Facebook ? Vous n’allez pas me dire qu’elle est nulle ? Nous sommes amis sur Facebook ! »
« C’est juste pour surveiller que vous ne dites pas trop de mal de moi, parce qu’en vrai, je n’ai absolument aucune envie d’être votre ami. »
« Article 4. Vous vous intéressez activement, j’ai bien dit activement, à ma page Facebook en mettant de nombreux commentaires sympathiques et si possible, spirituels. »
« Article 5. Vous réparez la tondeuse à gazon que je vous ai prêtée. »