Le mépris
16 septembre, 2018« Je le dis sans détour : Dugenou me répugne. »
« Comment ça, vous répugne ? »
« Oui, on le trouve dans toutes les histoires, tous les coups tordus, vous trouvez ça normal, vous ? »
« Dugenou est peut-être un peu m’as-tu-vu, mais de là à inspirer de la répugnance… »
« Chaque fois qu’il me parle, je vois dans ses yeux une interrogation : quel mauvais coup pourrais-je faire à ce minable ? »
« Vous avez beaucoup d’imagination. »
« Euh… ou peut-être. Remarquez, je n’aime pas beaucoup les gens, mais alors Dugenou, c’est pire que tout. Il dégouline de mépris, parfois il fait exprès d’avoir un coup de téléphone imaginaire pour ne pas écouter ce que j’ai à dire. »
« Ce n’est pas très élégant, en effet. »
« D’autre fois, il me tourne ostensiblement le dos quand j’arrive quelque part. »
« On a le droit de ne pas aimer quelqu’un, mais on devrait avoir un minimum de courtoisie entre êtres humains civilisés. »
« Vous avez raison, les bêtes sauvages se battent à mort, mais je ne pense pas qu’elles aient le pouvoir de se mépriser mutuellement au même point que nous. »
« C’est vrai : le mépris et la répugnance, sont une de nos spécialités. Vous pourriez peut-être vous expliquer avec Dugenou. »
« J’ai essayé, mais il m’a dit que j’étais une chiffe molle et qu’il n’avait de respect que pour les rapports de force dans lesquels il excelle. Et pas moi.»
« Ce pauvre Dugenou doit souffrir d’un manque, ça arrive lorsque les gens ont pâti d’un déficit d’affection. »
« Je ne vais tout de même pas aller dire à Dugenou que je l’aime, ce serait le comble. »
« Non, mais invitez -le à diner. »
« Il va faire une drôle de tête. »
« Il sera probablement très gêné, c’est ce qui arrive quand on répond au mépris par la considération. S’il n’est pas gêné, vous pourrez envisager de lui casser la figure. »
« C’est une bonne idée. Si nous dînons en tête-à-tête, il sera obligé de me parler comme à un être humain. Je vais l’inviter chez moi, comme ça je demanderai à Josiane de lui cuisiner son poulet à la basquaise. Dugenou en a horreur. »
« Euh … j’ai dit de répondre au mépris par la considération, pas par la vacherie gratuite. »
« Justement moi quand je fais une vacherie à quelqu’un, c’est que bien que je considère son existence. »