Archive pour le 6 septembre, 2018

Un noceur

6 septembre, 2018

« Je fais la nouba presque tous les soirs. Alcool, tabac, musique, sexe, j’aime autant vous dire que ça y va ! Je suis un vrai déglingué ! »

« Je vois ça. Et ça vous rend content ? »

« Le problème, ce n’est pas d’être content, c’est de montrer que je suis dans le coup. Je ne suis pas du genre à rester dans mon coin, à regarder des conneries à la télé. Je suis un homme qui aime la vie. »

« Au train où vous allez, vous écourtez votre vie. »

« Peut-être, mais je la vis intensément. D’ailleurs, il faudrait que j’écrive pour que le monde sache que j’aime la vie. »

« Oui, on commence à le savoir, mais vous pourriez le faire plus sainement. Faire du sport, vous couchez tôt, par exemple. »

« Un noceur comme moi ? Aller au lit à neuf heures ! Vous n’y pensez pas. Deux heures du matin, c’est bien assez tôt. »

« Et qu’est-ce que vous racontez pendant vos soirées ? »

« Je dis n’importe quoi en rigolant très fort à cause de la musique qui est à fond. Un verre à la main, évidemment. En mettant les choses au mieux, c’est-à-dire pendant les instants où je suis conscient de ce que je dis, je me moque des bourgeois qui vont au lit à neuf heures, au lieu de s’amuser comme moi. »

« Vous êtes sûr de vous amuser. »

« Non, certains soirs, je suis obligé de quitter la fête parce qu’il y a des gens qui me posent cette question, en ayant l’air de penser que j’en rajoute. Certains ont le culot de penser que je comble un manque affectif en m’étourdissant. »

« En effet, quel drôle d’idée ! »

« Comme si, sortir sur le pavé, au petit matin, complètement imbibé, inconscient, presque comateux ça permettait d’oublier la petitesse de ma condition humaine. »

« On se demande ce que vont chercher vos détracteurs. »

« Oui, je n’oublie rien du tout. J’aime autant vous dire que lorsque je me réveille à trois heures de l’après-midi, en supposant que j’ai réussi à atteindre mon lit, mon corps me rappelle tout à fait la faiblesse de la condition humaine : j’ai mal partout. »

« Et sur le plan intellectuel. »

« Même si j’ai passé une nuit d’enfer, cela ne me fait pas oublier la vanité des ambitions humaines. Je sais parfaitement que je dois passer le lendemain à Pôle Emploi, puis chez mon père pour lui demander un peu de fric. Vous voyez, je ne perds pas le sens des réalités ! Je suis un bourré conscient ! »

« En effet, je vous ramène chez vous en brouette ? »