La faute d’Albert
17 avril, 2018« Finalement, cher voisin, pourquoi entourons-nous de clôtures nos jardins respectifs ? »
« Une clôture, c’est fait pour empêcher ceux qui sont dehors de rentrer dans le domaine de celui qui est dedans. Je n’ai aucune envie que vous vous serviez de la balançoire de mes gamins ou que vous me voliez mes carottes. »
« Donc, cette clôture témoigne d’une grande méfiance entre nous. »
« Oui, tout à fait. Je me méfie de vous et des Autres. La clôture est un concept général. Elle empêche les brigands emprisonnés de sortir de leur cellule pour attaquer les honnêtes citoyens. Ou alors lorsqu’il y a un cordon sanitaire, elle empêche la maladie de s’étendre aux alentours de la zone infectée. »
« Si je comprends bien, le fait de poser des murs, c’est non seulement un indicateur de méfiance, mais aussi le témoin de l’existence d’une violence potentielle. »
« Tout à fait. Suivez-moi bien : la population est divisée en deux. Il y a les « dedans » et les « dehors ». Les « dedans » et les « dehors » sont comme deux tribus qui ne s’aiment pas beaucoup. Si je vous aimais bien, j’enlèverais la clôture entre mon jardin et le vôtre. »
« Remarquez que je suis votre « dehors », mais je suis aussi votre « dedans » par rapport à vous qui êtes mon « dehors ». On est tous le « dehors » de quelqu’un. Voilà qui explique pourquoi je ne vous aime pas beaucoup non plus. »
« Notez que le problème va bien au-delà de nos modestes personnes. S’il y a des frontières à notre pays, c’est que nous nous méfions un peu des « dehors », en clair des étrangers. »
« On a bien raison. Regardez un peu l’Histoire… »
« Si je poursuis la métaphore, je pourrais aussi vous dire que votre enveloppe corporelle définit un « dedans » et un « dehors ». Chaque fois que vous me parlez vous mettez un pied en dehors de votre « dedans », en prenant quelques risques. »
« Mais croyez-vous, Maître, que l’on puisse bâtir une civilisation sur une méfiance permanente entre les « dedans » et les « dehors » »
« Sûrement pas, mon ami. C’est pour ça qu’on a besoin d’un espace public non clos qui n’appartient à personne et à tout le monde. Quand je mets un pied dans la rue, je vais « dehors », mais il n’y a pas de « dedans », donc ça me rassure… »
« Mais les « dedans » pourraient aussi accueillir gentiment les « dehors » surtout si ceux-ci n’ont plus de « dedans ». Imaginons par exemple que je vous invite à dîner. C’est une hypothèse. Eh bien, vous seriez aussi rassuré. »
« Certes, mais je me demanderais ce que vous voulez en échange… »
« Donc, résumons-nous. Pour se protéger des Autres, il existe des murs de briques et les murs de la méfiance. »
« C’est de la faute d’Albert. »
« Qui c’est Albert ? »
« On en parle jamais, c’est le second homme sur Terre, arrivé après Adam. Ce dernier a très mal accepté l’arrivée d’Albert et a inventé les murs physiques et virtuels. »