Mon éloge
- Je voudrais que quelqu’un fasse mon éloge.
- Vous tombez bien, c’est justement la spécialité de notre maison. Nous fabriquons des éloges depuis 150 ans, de père en fils.
- D’accord, mais il me faudrait de la qualité.
- Pas de problème : commençons par le début. Vous avez quel âge ?
- 52 ans.
- Vous faites un peu plus vieux, mais ce n’est pas grave. Nous pourrions dire que vous portez avec noblesse les stigmates de la vieillesse.
- On pourrait peut-être parler aussi de mon tempérament juvénile.
- Ok, je mets un petit coup de « sauvegarde d’âme d’enfant ». C’est un produit courant. Bon ! Maintenant qu’est-ce que vous faites dans la vie ?
- Rien, je suis chômeur.
- Très bien, ça ! C’est fréquent aussi ! Nous allons déclarer que vous assumez avec dignité les conséquences désastreuses d’un ultra-libéralisme cruel et aveugle qui n’épargne pas l’honnête salarié potentiel que vous êtes.
- Est-ce qu’on pourrait dire que j’ai beaucoup d’humour ?
- Ah ! Ah ! Je vois ce que c’est : monsieur est gourmand. Bon, disons, que monsieur est doté d’un humour fin et discret, d’autant plus hilarant qu’il est réservé à un cercle limité d’initiés qui n’en peuvent plus de s’écrouler de rire à son contact. Nous n’avons pas parlé de votre culture…
- Ah oui … Ma culture…
- Ne vous inquiétez pas, nous avons l’habitude. Monsieur est homme qui aime la vie et les livres. Les invités de sa petite maison ont toujours été impressionnés par l’étendue de la bibliothèque qui trône dans son salon. Il aime à citer ses poètes favoris : Baudelaire, Lamartine, Ronsard, Du Bellay, Petrus Borel…
- Qui ?
- Bon, j’enlève Petrus Borel. C’est dommage, personne ne le connait.
- Je fais du sport aussi.
- Très bien, monsieur est un homme complet. Là, je peux placer « mens sana in corpore sano ». Nous avons un tarif très correct pour les citations latines, ça donne du cachet à votre éloge. Quel sport ?
- Pétanque, ping-pong, marche…
- Parfait. J’écris : quand monsieur revient, épuisé, de ses exercices corporels qui sculptent son corps d’esthète, il aime à se replonger dans les œuvres complètes de Paul Valéry ou Arthur Rimbaud pour humer l’air des hauteurs célestes vers lesquelles nous élèvent nos grands poètes. Passons à vos amis.
- Euh… je n’ai pas beaucoup d’amis. Dugenou, peut-être, mon voisin de terminale au Lycée…
- Bon ! Chacun connait la fidélité de Monsieur en amitié. Il a su conserver certains de ses amis depuis plus de 40 ans, des hommes qui sauront reconnaitre dans cet éloge, celui qui a toujours su leur dire : ami ! Je suis là pour toi !
- Et pour ma modestie ?
- Alors là, on passe à la formule prémium ! C’est plus cher, mais on peut envisager un paiement en plusieurs fois. Nous disons donc : la modestie de Monsieur souffre. Entendez bien, sa modestie souffre ! Jamais, oh grand jamais, il n’aurait imaginé que quelqu’un puisse prononcer l’éloge de sa vie dont l’exemplarité honore tous ceux qui l’ont connu !
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