Un artiste
18 février, 2018« J’aime bien dessiner. »
« Ah bon ! Comment, ça se fait ? »
« Dessiner est un besoin élémentaire. Regardez les hommes préhistoriques. Dès qu’ils s’étaient abrités dans une caverne, qu’ils avaient mangé un morceau, ils se mettaient à dessiner ce qu’ils avaient vu dans la journée sur les parois de leur antre. »
« C’est vrai que les soirées devaient être longues. Il fallait bien qu’ils s’occupent. »
« Dessiner, c’est plus que ça. On pourrait dire qu’il y a quelque chose qui relève du divin : il ne s’agit ni plus ni moins de recréer le Monde ou du moins une image appartenant au Monde. Pour un peu, je me prendrais volontiers pour le Bon Dieu. »
« Vous ne doutez de rien. »
« Remarquez tout activité artistique consiste à imiter le divin, si on y réfléchit bien. Ceci dit, c’est assez risqué de la part de l’homme de vouloir concurrencer le Bon Dieu, je ne suis pas sûr qu’il le prenne bien. »
« Vous exagérez, toutes les œuvres ne restituent pas le Monde. »
« Vous avez raison. Certaines œuvres font encore plus fort, elle délivre une impression. Ainsi la Joconde et son sourire en coin, des millions de fans se demandent ce qu’il faut en penser de ce sourire. Se moque-t-elle ? De qui ? C’est comme une impression de mystère. »
« J’admets, mais tout le monde n’a pas peint la Joconde. »
« Prenez l’Angelus de Millet. On ressent immédiatement la piété et la foi de ces deux paysans qui arrêtent tous leurs travaux pour prier. A l’air des nouvelles technologies, on aura du mal à recréer un tel sentiment. »
« Vous ne prenez que les tableaux célèbres. »
« Et ‘La neige à Louveciennes’ de Sisley ? Moi, rien que de regarder le tableau, j’ai froid et j’ai envie d’enfiler mon manteau. Et ‘les raboteurs de parquet’ de Caillebotte, on entend quasiment le bruit des rabots rien qu’en regardant le tableau. »
« Bon, c’est vrai, mais vous ne parlez que de peintures figuratives. »
« Oui, c’est plus simple. Dans l’art abstrait, il faut qu’une idée surgisse, sans s’appuyer sur une représentation d’objet ou de paysage concret. »
« L’abstrait, c’est compliqué, moi des taches de couleur dispersées ça et là, ça ne m’inspire pas grand-chose. »
« Manque d’imagination ! Et ‘Guernica ‘ ? Vous en pensez quoi ? »
« Oui, là, je reconnais… C’est fort ! »
« Et le surréalisme, les ‘montres molles’ de Dali ?»
« Super ! Si je comprends bien, il faut qu’il y ait une idée, même folle, dans un tableau. Avec mes barbouillages, ça ne va pas le faire… »