Un menteur
5 septembre, 2017« Je suis un menteur. »
« Vous n’avez pas honte ? »
« Ou, mais attention, je suis un fieffé menteur. C’est le haut de gamme. C’est comme un menteur qui serait décoré de la Grand-Croix du Mensonge. Je ne suis pas un vulgaire mythomane qui invente des histoires à dormir debout.
« Mes respects, Monseigneur ! »
« En plus, je suis un menteur invétéré, ce qui veut dire que ça me tient depuis longtemps. D’ailleurs papa et maman était de sacrés menteurs. ‘Sacrés’ ne voulant pas dire dans ce contexte qu’ils ont été bénis par la religion. Bien au contraire. »
« Vous avez une belle réputation ! »
« Absolument. Tout le monde me reconnait comme menteur. C’est un fait indiscutable, validé par les meilleurs spécialistes. Je suis un menteur patenté. »
« Comment se fait-il que vous vous vantiez d’être menteur. D’habitude, ils se cachent. Vous vous rendez compte que vous êtes immoral ? »
« Je dirais plutôt que je suis éhonté. Je ne ressens aucune honte à mentir. Je mens comme vous vous respirez. »
« C’est grave ! »
« Non, je ne suis pas un menteur pathologique. J’essaie de mentir efficacement. Et puis d’abord qu’est-ce que mentir ? C’est dire le contraire de ce que je sais être vrai. Mais je peux très bien me tromper sur la véracité d’un fait, donc ce que je sais vrai peut être faux, donc au final je ne mens pas toujours. Je suis un menteur de bonne foi. »
« En plus vous êtes un peu manipulateur. Vous vous arrangez avec la vérité. »
« Evidemment. Vous ne trouvez pas qu’il y a une sorte d’arrogance à se croire tout le temps détenteur de la vérité. Le menteur lui est modeste. Il prend une distance raisonnée avec le Vrai. »
« Le résultat, c’est qu’on ne peut pas se fier à ce que vous dites. »
« Pas forcément, ça dépend de ce que je dis. Si je dis :’je mens’, vous pouvez comprendre que je dis la vérité, puisque je suis un menteur et par conséquent que je suis bien un menteur. Si je dis la vérité, je confirme que je suis un menteur. Vous pouvez donc en être sûr puisque je vous le confirme tout en étant un menteur. Nous sommes tout proche du célèbre paradoxe du menteur. Vous me suivez ? «
« Vaguement. Mais si vous me dites qu’il pleut, je peux sortir sans parapluie. »
« Oui, si je mens pour vous tromper. Auquel cas je serais un ‘sale menteur’. Mais moi, je mens propre. Je ne tiens pas à vous jouer un vilain tour. »
« Je vous en remercie. »