Un fantôme

« Quand j’étais jeune, je croyais qu’il suffisait que je me pointe quelque part, pour impressionner les gens. »

« Et ce n’est pas vrai ? »

« C’est complètement faux. Lorsque j’arrive les gens ont l’air de s’en ficher. »

« C’est à ce point ? »

« Vous ne pouvez pas savoir. Même chez les commerçants, personne ne s’aperçoit de ma présence. Le vendeur pourrait au moins me demander : et pour monsieur qu’est-ce que ce sera ? »

« Il est vrai que vous n’avez pas beaucoup de présence physique. »

« Pourtant, j’ai une tête, deux bras, deux jambes. Ce n’est pas de la présence physique, ça ? »

« Non, la présence physique, c’est une certaine manière d’occuper l’espace. Une façon d’irradier tout ce qui est autour de vous. Regarder les vedettes au festival de Cannes. »

« Il est vrai que je ne mets pas une heure à monter dix marches d’escalier en vérifiant qu’il y a bien un photographe pour prendre mon bon profil. »

« Bon, alors essayez d’avoir quelque chose d’intéressant à raconter. »

« Pfff… Je ne sais pas faire grand-chose. »

« Vous pourriez insister sur votre nullité. Le type qui ne fait pas grand-chose, ce serait un sujet de curiosité. »

« Encore faudrait-il que les autres prennent en considération mon enveloppe physique. Mais j’ai l’air transparent. Je me demande si je ne suis pas invisible. Quand les gens me parlent, je me retourne pour m’assurer qu’ils ne s’adressent pas à quelqu’un qui serait dans mon dos. »

« Effectivement, c’est ennuyeux. Vous pourriez passer pour un imbécile. »

« Si je pouvais passer pour quelque chose, ce ne serait déjà pas si mal que ça. »

« Votre cas est sévère. »

« Oui. D’ailleurs moi-même, je me demande si je suis bien là où je suis. »

« Vous ne seriez pas un peu dépressif ? »

« Non, pas du tout, je suis très content de vivre, mais j’aimerais bien exister. Je partage un bureau avec Dumoulin, mais lorsqu’il s’absente et qu’un collègue pénètre dans le bureau où je travaille, il dit à tous les coups : tiens ! Il n’y a personne ! »

« C’est très vexant. »

« Ce n’est rien. Je commence à prendre l’habitude. D’ailleurs, il y a des avantages. Les gens parlent de moi, même quand je suis là. Comme ça, je suis très au courant de ce qu’il pensent de moi, c’est-à-dire pas grand-chose. »

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