Archive pour le 9 juillet, 2017

Les vertus du bistrot

9 juillet, 2017

« C’est quatre heures de l’après-midi et vous êtes déjà au bistrot. »

« Je vous ferais remarquer que vous aussi. »

« C’est normal. Le bistrot, c’est là où on va quand on a envie d’aller nulle part. »

« Vous pourriez aussi rentrer dans une église. Pour chasser votre mal être, ce n’est pas mal non plus. »

« Oui, mais, l’ambiance est moins détendue. Le bistrot, c’est le seul endroit où je peux picoler sans avoir de remarques désobligeantes. »

« Vous avez raison, mais le problème du bistrot, c’est qu’il y a toujours un moment où il faut rentrer chez soi en marchant à peu près droit. »

« Et là, chez vous, vous vous faites engueuler. Bistrot ou pas bistrot, vous avez droit à des remarques. »

« Moi je préfère bistrot. Le serveur a un regard compatissant, lui au moins. Ce n’est pas comme certaine que je ne nommerai pas. Le serveur a l’habitude de servir à boire à des gens à quatre heures de l’après-midi qui ne devraient pas boire à quatre heures de l’après-midi. »

« Oui et puis on peut lui parler au serveur. On peut lui dire n’importe quoi, ce n’est pas lui qui va chercher à comprendre. C’est agréable ! »

« C’est ça ! Je suis d’accord : notre problème, c’est qu’il faut toujours dire et faire des choses cohérentes et intelligentes. Les gens ne se rendent pas compte de l’effort que tout ça me coûte ! »

« C’est triste à dire, mais il n’y a plus beaucoup d’autres endroits où on peut déconner tranquillement. Dans le temps, il y avait le service militaire. Mais c’est fini ! Maintenant, il faut être performant et efficace. »

« Finalement le bistrot rend un grand service public : perdre la notion du temps et de l’espace. Ce sont les deux concepts qui nous stressent. Il faut voir dans quel état ils nous mettent. »

« Et puis l’intérêt du bistrot, c’est qu’on rencontre des gens qui pensent comme vous. Il n’y a pas besoin de chercher des arguments pour faire prévaloir un point de vue. »

« Il y a parfois des bagarres, mais la différence avec l’extérieur, c’est qu’on se met sur la gueule pour des prétextes complètement cons ou même pas de prétexte du tout ! »

« Eh oui ! En attendant, je me mobilise pour sauver ce bistrot, j’arrive de plus en plus tôt. L’idéal, ce serait que ce soit complet dès dix heures du matin. Sinon, ils vont nous le supprimer comme ils ont supprimé les lavoirs municipaux. »

« C’est vrai, ça. Ils vont nous obliger à boire chez nous, encore une tendance à l’individualisation de la société. »

« Ce n’est pas Josiane qui pourra me raconter n’importe quoi en m’apportant un bon whisky sans glace. »

« Si ça se trouve, ce sera nous qui serons obligés de l’apporter à nos femmes ! »