Un nullard
« Je n’ai aucune personnalité, c’est consternant. »
« C’est à ce point ? »
« Oui, je fais attention de m’habiller comme tout le monde, pour me fondre dans la foule. De loin, personne ne me reconnait. C’est l’anonymat complet. Même mon chien hésite à me reconnaître ! »
« Pourtant, vous parlez comme un être humain. Vous avez des idées. »
« Je dis ce que tout le monde dit. Je fais attention de ne pas être original, c’est dangereux. On pourrait m’en vouloir. »
« Ça doit être compliqué de ne jamais sortir quelque chose d’intéressant. »
« Pas tellement, il suffit de suivre le résultat des sondages pour savoir ce que tout le monde pense. Vous dites la même chose et vous avez la paix ! »
« Et en société, ça se passe comment ? »
« Je me mets dans le cercle, je rigole quand tout le monde rigole et je hoche la tête lorsque les autres parlent. Je n’ai pas la moindre envie de me mettre quelqu’un à dos. »
« Vous avez bien un petit talent. »
« Je ne sais rien faire, comme ça on me demande rien. Remarquez, il y a des vicieux qui me demande comment on fait pour ne rien savoir faire. »
« Effectivement, c’est un peu pervers. Et au boulot, comment ça se passe ?»
« C’est là le plus compliqué. Un type qui ne sait rien faire, ça se repère facilement. Il y a bien des trucs : traverser les couloirs avec les bras chargés de dossiers, par exemple. »
« C’est un peu insuffisant tout de même ! »
« Ou alors, je téléphone toute la journée à n’importe qui. Personne n’ose interrompre mes communications. Quand je n’appelle pas, je demande à un copain de faire sonner mon téléphone ou bien je lis mes mails publicitaires jusqu’au bout. »
« Et au moment de l’entretien d’évaluation avec votre patron, vous dites quoi ? »
« Je dis que je ne sais rien faire. »
« Il ne doit pas être satisfait de vous. »
« Si ! Il rigole ! Quand vous dites la vérité d’un air benoît, les gens se marrent. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme ça. Du coup, il m’aime bien, je passe pour un joyeux drille qui met une bonne ambiance dans l’entreprise. »
« Vous comptez faire de la formation. »
« Non, c’est bien trop risqué. Je n’ai pas envie d’être spécialisé dans quelque chose, on pourrait me poser des questions. Je suis plus tranquille dans ma nullité. »
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