Sur les ponts de Paris
5 février, 2017« Je suis animateur de pont. »
« Ah bon ? Et ça consiste en quoi ? »
« Dans un milieu très urbain, le pont est l’un dernier contact entre le citoyen et la nature, grâce au fleuve qui coule sous les arches. Donc, il faut qu’il se passe quelque chose qui honore cette rencontre. »
« Et concrètement, vous faites quoi ? »
« Par exemple, je m’accoude à la balustrade en me mirant dans les flots et en rêvant que je navigue au loin jusqu’à l’embouchure. Je fais aussi de très jolis ronds dans l’eau. »
« Et vous trouvez ça productif ?»
«Oui, et en plus, j’essaie d’entrainer les passants à en faire autant. »
« Bon et quand tout le monde est accoudé à la balustrade, vous êtes content ? Vous savez que les gens ont autre chose à faire ? »
« Vous avez raison. C’est un peu mince comme animation. Je fais aussi des coucous aux bateaux qui passent. »
« Ils doivent être contents ! »
« Ensuite, j’observe les passants. Vous avez remarqué, sur les ponts, il y a plus de vent qu’ailleurs, ça donne du dynamisme aux silhouettes. Les hommes sont calfeutrés dans leur pardessus en tenant leur chapeau d’une main pour qu’il ne s’envole pas. Au printemps, les femmes retiennent leurs jupes pour que le vent fripon ne les soulève pas. Bref, il y a du spectacle. Je prends des photos. »
« Et vous vous trouvez utile ? »
« Oui, très. Le pont est un lieu poétique, il faut qu’il le reste. Lorsque votre ville sera remplie de parkings souterrains, de WC publics ou de façades de bureau impersonnelles, vous les regretterez. »
« Bon, mais il doit y avoir des pêcheurs qui pourraient faire votre boulot. »
« Pas du tout, les pêcheurs font partie du paysage que je préserve. Ils sont trop concentrés sur leurs bouchons pour faire ce que je fais. »
« J’espère au moins que vous alertez les Autorités lors de la montée des eaux. »
« Oui, mais ça ne sert à pas grand-chose. Les flots se déchainent de toute façon. D’ailleurs, c’est aussi un spectacle assez fascinant. »
« Et alors, pour ce qui se passe en-dessous du pont, vous faites comment ? »
« Vous ne trouvez pas que j’ai assez de travail comme ça ? Pour ce qui se passe sous le pont, il y a une autre corporation, c’est un autre métier : animateur de dessous-de-pont. Il y a des clochards, des amoureux, des automobilistes. Il faut savoir leur parler pour faire respecter l’ordre et la beauté de l’endroit. Cela nécessite un vrai savoir-faire. »