Un hommage
22 novembre, 2016« Je voudrais rendre un hommage appuyé à moi-même. De mon vivant, c’est quand même plus sûr. »
« Pourquoi ? Vous avez fait quelque chose de bien ? »
« Oui. Je me suis éduqué. Je suis allé à l’école longtemps, sans trop renâcler, pour apprendre beaucoup de choses. Les esprits forts diront que la plupart ne m’ont servi à rien. Peut-être, mais tout ce que l’on sait n’a pas forcément vocation à servir à quelque chose. »
« Voilà une sage parole. »
« Ensuite, j’ai poursuivi un effort soutenu pour vivre. J’ai bossé sans embêter personne. Certes, être salarié, c’est abandonner une partie de sa liberté d’action contre un salaire, mais enfin il fallait bien que je m’assure le dîner et le gîte. »
« Vous étiez heureux ? »
« Le mot est un peu fort, mais j’ai fait ce qu’il fallait pour m’habituer à cet état bizarre où l’on évite de se demander si l’on est heureux ou pas. »
« Et avec les autres, ça se passait bien ? »
« Là aussi, j’ai fait des progrès. Je salue tout le monde avec affabilité. Je parle de tout et de rien (surtout de rien) pour meubler la conversation. Je m’intéresse aux soucis de mes voisins, enfin … j’essaie. Parfois, je rencontre certaines personnes avec plaisir parce que je sais qu’on rigole des mêmes choses. »
« Et vous trouvez que tout ça mérite un hommage particulier. »
« Oui, parce que comme je me connais, si je n’avais pas lutté contre ma nature profonde, personne ne m’aimerait. »
« Effectivement, vu comme ça, je vous félicite d’avoir su vous faire aimer par votre entourage. Notez tout de même que c’est le cas de millions de personnes qui ne s’auto-décernent pas de médaille pour autant. »
« Vous êtes en train de me dire que je suis comme tout le monde. Mais pourquoi tout le monde ne mériterait-il pas une récompense ? C’est une belle performance que de vivre avec plusieurs autres millions de personnes sur un même territoire sans se taper dessus. »
« C’est ce qu’on appelle être civilisé et puis, de toute façon, a-t-on vraiment le choix ? »
« Bien sûr qu’on a le choix. On peut très bien décider de ne pas vivre en paix avec les autres. Certains ne s’en privent pas. On peut aussi décider de ne pas vivre en paix avec soi-même et de toujours se chercher querelle pour un oui ou un non. »
« La guerre ou l’autoguerre ne sont pas une solution. Les vaincus d’hier se relèvent toujours et deviennent les vainqueurs de demain. Et ainsi de suite. »
« C’est pour ça que je ne fais la guerre à personne, pas même à moi. Je me décerne donc mon prix Nobel de la paix. Si vous restez, je fais un discours. »