Il faut se battre !
17 novembre, 2016« Je suis un battant, moi ! »
« Tu es sûr ? »
« Non, mais tout le monde dit ça, je ne vois pas pourquoi je me priverais. Ça fait le mec fort, qui n’a peur de rien, qui ira jusqu’au bout… Tu vois le genre… Je me demande pourquoi les gens éprouvent encore le besoin d’utiliser un vocabulaire guerrier à tout bout de champ. »
« A mon avis, c’est une sorte de dégénérescence de pratiques anciennes. N’oublions pas que depuis le début des temps, l’homme a dû se défendre avec le couteau entre les dents que ce soit contre les bêtes féroces ou les envahisseurs. Tout se passe comme si vingt siècles plus tard, l’homme moderne avait conservé au fond de lui une sorte de pulsion primaire qui le pousse à vouloir se battre dans toutes les situations. Bien sûr, la civilisation est passée par là, et il faut accepter ‘se battre’ au sens figuré. »
« Donc quand les gens disent qu’ils se battent ou qu’ils montent au créneau, il faut comprendre que, dans leur esprit, il se produit une sorte de régression dans le temps, telle qu’ils se voient manier la hache et la massue sur le crâne de leurs adversaires. »
« Oui, c’est à peu près ça. Dire qu’on se bat est bien vu. Il faut faire attention à adopter un vocabulaire guerrier, mais soft. Dire qu’on va casser la figure à quelqu’un n’est pas permis au XXIème siècle. »
« Et au lieu de ‘je me bats’, ne pourrait-on pas dire : je vais essayer de trouver des solutions constructives grâce à un dialogue franc et loyal avec mes interlocuteurs ?»
« Tu veux rire. Il faut s’imposer, c’est tout, sinon tu es un minus. Le fait de trouver des solutions constructives négociées est la marque des faiblards. »
« Alors, on ne peut pas négocier ? »
« Surtout pas, proposer une négociation, c’est reconnaitre ta défaite. Il faut rester ferme sur tes positions, justement pour avoir l’air du mec costaud qui ne changera pas d’avis quoiqu’il arrive. C’est idiot, mais c’est ainsi que ça marche. Ou pas. »
« Bon, alors on se bat, mais on peut le faire avec une certaine intelligence, non ? Par exemple s’attaquer à plus fort que soi est suicidaire, même l’homme de Cromagnon le savait. »
« A la limite, je dis bien : à la limite, tu peux faire de la résistance passive. Quand quelqu’un t’attaque de front, tu le laisses faire. Quand il s’est épuisé et qu’il a constaté qu’il n’y a pas moyen de ‘se battre’ avec toi, il renonce et il va ‘se battre’ ailleurs. Là, tu peux dire que tu t’es battu, même si tu n’as rien fait. »
« Mais quand on s’est battu avec quelqu’un, comment on sait si on a gagné ? »
« On ne le sait pas. L’important, c’est de se battre pour montrer que tu es quelqu’un qui ne s’en laisse pas compter. De toute façon, tu ne crains rien : aujourd’hui, quand on se bat, on en sort vivant dans tous les cas de figure. Au pire, ton adversaire ne voudra plus te parler pendant un certain temps, ou tu ne voudras plus lui parler, mais ce n’est pas grave. Oui… je sais, tout ça n’a aucun intérêt., ça s’appelle la vie. »