Le premier jour
Le plus difficile, ce n’est pas le premier jour. Certes, il faut se lever tôt, mais on peut encore imaginer qu’il s’agit d’une nouvelle excursion de vacances, comme –par exemple- la visite guidée des grottes de Machin-Chouette. Certes, ce lieu touristique sent curieusement le neuf, mais on peut croire que c’est une odeur typique d’un endroit où des hommes préhistoriques malaxaient toutes sortes de matières pour tenter de vivre.
Le premier jour d’école, c’est bien, parce qu’on a le temps de rien faire.
Cependant, ça ne commence pas très bien. A partir d’un magma de gamins perdus, des rangs se forment, rectilignes et soudainement silencieux. Il faut que, piétinant telle une armée de galériens enchaînés, les intéressés trouvent les bancs où ils subiront leur châtiment pendant de long mois.
Puis commence la cérémonie dites « des petits papiers ». Il y a d’abord ceux sur lesquels il faut écrire comment on s’appelle, quel âge on a, ce que font les parents (quand on en a une idée). Puis viennent les papiers qu’il faut faire remplir par les géniteurs. Leur contenu est parfaitement hermétique, mais on suppose qu’eux ils comprendront. Là, les menaces commencent : si on ne rapporte pas ces documents avant 3 jours, ce sera au choix deux heures de colle, pas de récré pendant une semaine, une kyrielle de zéros pointés (avant même que le puni ait eu le temps de faire étalage de son brillant niveau).
Bref… Le premier jour, on peut être sûr de ne rien apprendre de sérieux. On est même à l’abri de toute interrogation surprise, puisque les tortionnaires n’ont pas pu préparer les tests de notre incompétence.
Le problème, c’est le second jour. Je passe sur le stress qui saisit l’intéressé, s’il a oublié de rapporter les papiers du jour précédent, dûment remplis par les parents. L’illusion d’une visite d’un site préhistorique accompagnée de la distribution de prospectus aux couleurs chatoyantes s’estompe au profit d’une cruelle réalité. Dénonçons cette infamie : il s’agit d’une gigantesque entreprise de privation de liberté.
Des premiers regards suspicieux s’échangent entre prisonniers. Les forces de l’ordre édictent la liste des règles à suivre et les inévitables sanctions qui s’en suivraient en cas de rébellion. Les premiers devoirs arrivent en rafale. Dans la tête des condamnés défilent, comme des rêves enfuis, des images de plages infinies, bordées de cocotiers penchés et de filles en bikini aux sourires bienveillants.
Les premiers échanges verbaux se déroulent dans la cour de promenade. On évalue le degré de vacherie potentielle des différents matons. Des alliances se nouent contre les prisonniers le plus faibles ou les moins intégrés, repérés grâce à leur accoutrements vestimentaires non conformes aux standards. Des projets de cassage de gueule s’élaborent en grand secret.
Les jours suivants sont déterminants. Les relations prisonniers-gardiens se nouent : les premières punitions sont prononcées pour les conforter définitivement. Les plus forts s’en remettent aisément et joueront la provocation pendant toute la durée de leur séjour. Les plus faibles tremblent, parfois victimes de la double peine lorsqu’ils devront affronter la vindicte parentale. Après une phase d’observation entre prisonniers, s’ouvrent l’étape des complots et des règlements de compte.
L’apprentissage de la survie en milieu hostile commence.
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