Encore une histoire à dormir assis
31 juillet, 2016« Je suis très compréhensif. »
« Je ne vous aime pas. »
« Je comprends que vous ne m’aimiez pas. Je n’ai pas de conversation, je ne sais pas faire grand-chose, je ne suis pas beau, je n’ai pas d’argent. Rien pour plaire. »
« Oui, c’est vrai tout ça. Mais en plus, je n’ai pas envie que vous me compreniez. De quoi vous mêlez-vous ? »
« Si je vous dis que je vous comprends, je vous donne raison, c’est plutôt sympa, non ? »
« Non, pas du tout. Me comprendre, c’est rentrer dans ma structure mentale. Je ne vous veux pas dans ma tête. »
« L’ennui, c’est que je vous comprends quand même. Quand je me regarde, je ne me trouve absolument pas aimable. »
« Bon, faisons un compromis. Vous ne me comprenez pas, mais vous êtes arrivé à la même conclusion que moi pour des motifs différents. »
« C’est compliqué, mais enfin on va essayer. »
« Vous voyez, ce n’est pas la peine de s’énerver. Même entre ennemis, on peut toujours trouver des terrains d’entente. Je vous déteste, mais vous pouvez vous détester aussi à condition que vous ne me compreniez pas. »
« Certes, je me déteste, mais puis-je vous détester aussi ? »
« Pourquoi, je vous prie ? Tout le monde m’aime, pourtant ! »
« C’est pour vous rendre service. Puisque tout le monde vous adore, personne ne vous dira que vous avez des défauts absolument insupportables. Donc, je vous déteste et vous pouvez m’en remercier. »
« Comment ça ! C’est que je ne peux pas vous remercier de quoi que ce soit, puisque je vous déteste. Avoir de la reconnaissance pour vous me plongerait dans une contradiction très embarrassante. N’êtes-vous pas en train de me prendre à mon propre piège ? »
« Donc, je ne peux pas vous dire que je vous comprends, ni que je vous déteste. Et l’indifférence, ça vous conviendrait ? »
« Vous n’y pensez pas ! L’indifférence, c’est très méprisant. Je vous interdis de me mépriser. »
« Bon, alors je fais quoi de vous ? »
« Rien. »
« Ce n’est pas possible de ne rien ressentir quand on est en face de quelqu’un ! Quand vous me voyez, vous me détestez. »
« Et voilà, vous recommencez, vous essayez de vous mettre à ma place. Vous n’avez pas à décrire ce que je ressens, c’est très intrusif ! »