Super-glandeur
8 mai, 2016« Moi, j’ai un poil dans la main. »
« Et vous vous en vantez ! Vous savez tout de même que la paresse est-un défaut. C’est même quasiment un péché. Seul le travail est une valeur considérée. »
« Le travail use le corps humain. A la fin, on n’en peut plus. »
« Certes on finit en mauvaise santé, mais fier de l’œuvre accomplie. Vous vous vivez aux crochets des autres. Vous n’avez pas honte ? »
« Non, pas vraiment. Il faut du caractère pour résister à la pression sociale qui pousse tous les êtres humains à s’user prématurément. »
« Comment vivrait-on, si chacun faisait comme vous ? »
« Les anciens avaient trouvé la formule de l’esclavage, mais je reconnais qu’on ne peut plus faire comme ça, maintenant on est tous des esclaves, c’est beaucoup mieux. »
« Non, monsieur ! On est tous sur le même bateau et chacun doit prendre sa part du travail, sinon tout le monde coule. »
« C’est vrai. Dans le temps, ça s’appelait les galères. Il y avait ceux qui ramaient et les autres qui se prélassaient sur le pont des premières classes. Heureusement que ça a changé. »
« Je vois ! Monsieur fait dans le sarcasme ! Sachez, cher ami qu’avant de monter sur le pont des premières classes, il faut ramer. On se prélasse quand on l’a mérité par son travail assidu et acharné. »
« Et aussi quand on est vieux et malade. Moi, j’ai envie d’être jeune et libre. »
« Ah ! Voilà l’irresponsabilité qui pointe son nez. »
« Si vous croyez que c’est agréable d’être irresponsable. Par contre, je sens très bien que je n’ai pas envie de faire la vaisselle ou le ménage chez moi. Sortir mes poubelles est une corvée, trier mes déchets est hors de mes possibilités. Aller au coiffeur ou au dentiste est une corvée. Finalement, je suis une victime. »
« C’est la meilleure ! Un paresseux est un paresseux ! Vous êtes en bonne santé. Vous n’avez aucune excuse. »
« Je ne cherche pas à m’excuser de glander. »
« Bon, qu’est-ce que vous apporte de ne rien foutre ? »
« Je vous explique. Il y a deux sortes de glandeurs. D’une part, les pathologiques, c’est-à-dire ceux qui sont malades à la seule pensée d’avoir à mettre un pied devant l’autre. D’autre part les poètes, ceux qui préfèrent rêver devant le spectacle de la nature, plutôt que d’élaborer des stratégies pour échapper à son chef de service. Moi, je cumule les deux problèmes. »
« Je vois ce que c’est. Vous devez vous convaincre que travailler est une victoire sur soi-même. Vous ferez un effort physique et intellectuel salutaire, surtout dans votre cas. En plus, travailler, c’est une dignité. »
« D’accord, monsieur le directeur, vous m’avez convaincu. Je vais me soumettre à votre autorité, avec dignité. »