Un interview télévisé
8 avril, 2016« Si vous pouviez éviter de parler en même temps que moi, ça m’arrangerait. Je ne comprends même plus ce que je dis. »
« C’est normal, je ne vous ai pas invité pour que vous puissiez placer un discours construit, ça ne m’intéresse absolument pas. »
« Ah bon, alors qu’est -ce que je fais là ? »
« Vous me servez à émettre mes propres opinions. Je fais semblant de vous poser des questions qui – en fait- contiennent ma propre réponse. Et si vous vous avez une réponse, je parle sur vous pour vous désarçonner. »
« C’est très pervers. »
« Oui, au final, vous n’avez rien dit d’intéressant et c’est moi qui aie pu m’exprimer. C’est ça la technique d’interview, et moi je suis un grand intervieweur ! »
« Je pourrais aussi m’en aller pour vous laisser parler tout seul. »
« Non, parce que vous signeriez votre défaite. Une interview, c’est un combat, et je serai encore le grand gagnant ! »
« Vous avez remarqué que lorsque vous parlez sur moi, les téléspectateurs ne comprennent plus rien. »
« C’est encore mieux. Ils n’ont pas à comprendre. Il y a une empoignade verbale, ils sont contents comme ça. »
« Vous avez une piètre opinion du citoyen. »
« Qu’est-ce que vous voulez ? Moi, je suis un être dynamique. Les gens m’aiment comme ça. Vous ne croyez tout de même pas que je vais mettre mes invités en valeur. »
« Finalement, vous faites une émission dont on ne retiendra rien d’autres qu’une bagarre entre les acteurs. »
« C’est ça que les gens veulent. Assez de baratin ! Des actes ! Il faut que ça bouge ! »
« Il ne faut pas s’étonner si les téléspectateurs préfèrent la télé-réalité, c’est du même niveau ! »
« J’en étais sûr, un intellectuel ! »
« C’est ennuyeux ? »
« Très, les gens veulent du concret. Ils n’ont plus le temps de réfléchir. Et moi, je ne tiens pas à ce que tout le monde s’endorme devant mon émission. Je défends mon job, vous comprenez ? »
« Bon, alors on fait comment ? »
« Je pense que je vais passer la parole à quelqu’un d’autre. A quelqu’un qui n’a rien à dire, ce sera plus simple. »